Journal d'Ilyas Shehadeh, scribe-voyageur - Partie 5

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14e Lune de Brodicus. An 527, II Ère

C'est une catastrophe ! Trois ! Nous avons perdu trois compagnons en une journée !

Rivebrume s'avère être une effroyable malédiction. Même les rumeurs des monstres sur le front me feraient rire maintenant que j'ai vu l'enfer.

Il faut que je me calme. Que je reprenne les choses calmement, maintenant que je suis de retour au campement avec les survivants.

Nous sommes partis à l'aube, comme le souhaitait Drovius. Le brouillard était, en effet, plus épais dans le village, si bien que du haut du tertre boisé, nous ne distinguions rien. Pire, nous n'entendions rien.

L'ancien soldat divisa le groupe en trois, nous jaugeant du regard. Il envoya Kogan et Su-Fon contourner l'orée du village par le nord tandis que lui et Galeval armé de son cimeterre, iraient au sud. Les deux frères akedians et moi devions rester sur le point culminant, en soutien. Le moindre problème rencontré devait être signalé par un sifflement strident afin que les autres rappliquent pour porter secours.

Ce ne fut pas un sifflement, mais un hurlement effroyable qui vint du sud quelques instants plus tard.

Les deux frères et moi-même nous sommes précipités vers l'origine du bruit, entre un entrepôt et une modeste chaumière. Galeval y luttait à mains nues, dos contre terre alors qu'un humanoïde squelettique lui tombait dessus. Derrière, sur une petite place de village, Drovius avait un bras en sang. Il combattait toute une troupe de ces créatures grisâtres de sa main valide. Des êtres qui ressemblaient davantage à des cadavres ; leurs vêtements humides tombant en guenilles autant que leurs chaires putréfiées. Leurs corps grouillaient d'araignées de toutes tailles, leurs toiles tissant les membres mutilés entre eux. Des centaines de ces insectes entraient et sortaient par tous les orifices, toutes les plaies de ces dépouilles animées.

Pendant quelques instants, aucun de nous ne fut capable de bouger, tétanisé par la vision d'horreur. Ce n'est que lorsque Drovius fut submergé, les doigts osseux des morts-vivants creusant dans son armure comme dans du beurre, qu'Ilos revint à lui et tira dans le tas avec son arc. Cela fit également sortir Menos et moi de notre stupeur. Je me lançais à l'aide de Gal tandis que Menos arma son arc pour me couvrir.

D'un franc coup de pied qui s'enfonça jusqu'à la cheville dans les côtes du cadavre, je parvins à repousser la créature. J'aidais Galeval à se relever lorsqu'une flèche siffla à nos oreilles. Nous avons vu sa course se terminer dans la tête d'un des agresseurs de Drovius. La puissance du tir arracha presque totalement le crâne de la créature qui vacilla en arrière. Elle entraîna Drovius dans sa chute et c'est à ce moment que l'on vit qu'une des créatures avait entré sa main tout entière dans le ventre du vieux guerrier. Ses viscères s'étirèrent entre Drovius, au sol, et la main du revenant au-dessus de lui.

Ilos tira une dernière fois. La flèche se ficha dans la tête de Drovius, abrégeant ses cris. Ramassant son cimeterre, Gal m'entraina en arrière vers les bois. Il tapa l'épaule d'Ilos en lui hurlant de nous couvrir quelques instants, avant de décamper à son tour.

Le sol grouillait d'araignées de toutes tailles et plusieurs furent écrasées sous mes pas. On retrouva rapidement Kogan et Su-Fon qui se précipitaient dans notre direction. Haletant, j'eus à peine le temps de leur expliquer la situation que des dizaines de cadavres sortaient lentement de derrière un bâtiment sur ma gauche. Le nordique agrippa sa hache aussi fermement que sa mâchoire était serrée et avança, prêt à en découdre. Avant de n'avoir pu faire quoique ce soit, une flèche siffla à quelques doigts de mon visage.

Le projectile se planta dans l'omoplate de Kogan. Le géant grogna de douleur en titubant. Nous nous sommes tous retournés pour voir Ilos en train de calmement réarmer son arc. J'ai déjà décrit dans ce recueil le talent des deux frères pour le tir. Jamais il n'aurait pu rater son coup et, quand bien même, il ne serait pas resté aussi impassible suite à un tel échec. Abasourdis, aucun de nous ne bougea, tandis qu'il rebandait son arc.

La deuxième flèche toucha l'estomac du nordique, le courbant en deux. Menos hurla, se précipitant sur son frère. Galeval alla soutenir Kogan tandis que Su-Fon se plaça à ses côtés, prête à retenir les revenants qui se rapprochaient dans la brume. Je ne pus rien faire, impuissant d'incompréhension. C'est alors que je vis une araignée.

Une araignée, puis deux, puis plusieurs autres. Toutes parcourant le corps d'Ilos. Menos tentait avec grande peine de retenir les bras de son frère qui encochaient une autre flèche. Je lui ai hurlé que son frère était contaminé, ne trouvant pas d'autres mots adéquats sur le moment. Menos se tourna, le visage ruisselant de larmes et m'hurla de la fermer. Ilos profita du moment. Une troisième flèche fendit l'air.

Elle traversa le cou de Kogan de part en part. Le colosse lâcha son arme, une gerbe de sang jaillit d'entre ses dents. Gal ne put le retenir et le laissa s'écrouler sur le dos, des milliers d'arachnides assaillant aussitôt le corps du défunt nordique. Su-Fon et Galeval reculèrent vers les arbres, les morts-vivants se rapprochant dangereusement.

Menos recula de quelques pas, en pleurs. Dégainant sa dague de chasse, il poussa un cri qui me glace encore le sang et plongea la lame dans le cœur de son frère. Il s'agrippa à la poignée de l'arme de ses deux mains, le visage tordu de douleur et de peine. Ilos tomba, mais continua de remuer.

Je saisis le frère encore vivant et le força à lâcher l'arme. Su-Fon vint m'aider à porter Menos en profond état de choc et Gal couvrit nos arrières tandis que nous nous enfonçâmes dans les bois.

Nous avons atteint notre campement à bout de souffle. Les créatures ne semblent pas nous avoir suivies. Jusqu'à il y a quelques instants, personne ne prononça un mot. Nous étions tous traumatisés par les évènements. C'est Menos qui parla le premier. Il voulait y retourner, venger son frère. Nous avons tenté de l'apaiser, lui expliquant qu'il n'y avait plus rien à faire. Je crains que ce ne soit davantage l'épuisement que nos paroles qui eurent raison de lui.

J'ai dit à mes compagnons restants qu'il valait mieux battre en retraite. Nous ne savions pas à quoi nous avions affaire ici. Su-Fon sembla d'accord, mais Galeval sembla moins enclin. Il affirmait qu'il ne servait à rien de partir alors que nous n'avions rien à rendre compte. Selon lui, il faudrait capturer un de ces corps infectés pour le ramener, l'étudier.

Sa réflexion m'étonna. C'était le genre de raisonnement que je faisais habituellement, pas lui. J'ai dû l'influencer plus qu'il n'y paraissait.

Je comprends son point de vue, mais ne suis pas pour autant convaincu. Nous sommes tous exténués. J'ai proposé de passer la nuit ici, pour réfléchir à ce qu'il fallait faire. Nous avons tiré au sort les tours de garde, je passe en dernier. Il faut que j'essaie de me reposer un peu.

Chroniques de Rivebrume (Terminées ?)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant