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D'aussi loin que je m'en souvienne, la vie ne m'a jamais épargnée une seule fois. J'avais la ferme impression que, probablement dans une vie antérieure, j'ai été une mauvaise, très mauvaise personne ; mes péchés m'ont valu une prochaine vie misérable telle que la souffrance que j'ai vécu chaque foutue journée de mon enfance.

« - Je t'en supplie lâche-le !

- Faut que ce petit enfoiré apprenne la leçon, à moins que tu ne veuilles prendre sa place ?! »

Les supplices désespérés de ma mère s'éteignèrent dans l'air lourd, à présent seuls ses faibles sanglots trahissaient le silence de plomb. Mon père tenait fermement mes cheveux de sa poigne puissante, enterrant mon visage dans mon drap trempé d'urine, tel un vulgaire chien qu'on punit pour avoir pissé au mauvais endroit.

Peut on dire que je suis né au mauvais endroit au mauvais moment ?
Probablement.

Même si je ne pouvais pas le voir, je sentais une aura haineuse émaner du corps brûlant du quarantenaire perdu dans sa démence. Il respirait comme un buffle attaquant sa proie, et je n'osais laisser échapper le moindre son de ma gorge, bien trop effrayé des répercussions que mon erreur pourrait enclancher.

« - Ce sont les pédales qui pissent dans leurs lits, t'es qu'une petite tarlouze !

- Chéri il a comprit la leçon... »

À la maison, ma mère et moi étions les souffre-douleurs de mon père. Il se pensait supérieur à nous et ça, il ne l'a jamais caché ; chaque repas, il mangeait sur la table tandis que nous étions obligés de nous asseoir à la table basse, assis à même le sol, comme des moins que rien.

D'aussi loin que je m'en souvienne, il a toujours joué cette double facette, jonglant d'expressions en expressions pour satisfaire autrui ; à l'extérieur il était généreux, aimable et empathique ; mais une fois le seuil de la porte franchi, il devenait maniaque, pervers et violent.

Il était un vrai manipulateur capable de tout pour combler ses envies. Il était maître de son visage et des émotions qui en passait. Même moi, principale victime de ses humiliations quotidiennes, tombait parfois dans ses pseudo-bonnes manières. Comme le disait mon père,

Ce qui se passe à la maison reste à la maison.

-

  « - Jungkook, comme tu es maigre !

- N'est ce pas ? Et pourtant, je peux t'assurer que ce petit malin se goinfre à longueur de journée ! »

Je me goinfre de tes coups de ceinture, en tout cas.

Mon père tourna la tête dans ma direction, un gros sourire chaleureux sur les lèvres tandis qu'il ébouriffa mes cheveux d'un geste presque doux. Je gloussai dans ma main, confirmant par la suite les mensonges de mon géniteur. Si l'envie de me priver de nourriture lui titillait l'esprit, je pouvais être affamé durant au moins trois jours.

Lui et mon oncle changèrent de sujet, se tournant vers leurs affaires professionnelles et leurs exploits en tout genres, partageant un rire de temps à autres. Du côté des femmes, ma mère et ma cousine papotaient de sujets plutôt inintéressants, jusqu'à ce que la jeune femme se penche soudainement contre la table pour poser sa main sur la mienne dans le but d'attirer mon attention.

𝐑𝐮𝐧 𝐀𝐰𝐚𝐲₂ - 𝐊.𝐓𝐡Où les histoires vivent. Découvrez maintenant