Il y a des choses que l'on ne prévoit pas.
Comme passer deux jours de tournage de merde parce qu'on avait pas prévu de découvrir qu'on se traînait des sentiments pour quelqu'un la veille.
Et que ce quelqu'un soit un homme.
Son putain de meilleur ami.
Tous ça parce qu'on avait pas non plus prévu d'embrasser son meilleur ami durant un soirée d'anniversaire.
Et encore moins finir par tromper sa copine de longue date...
Tout ça, ça ne se prévoit pas.
Et si les films montrent ça comme quelque chose de magique, c'est avant tout terrifiant. Une sensation qui vous glace le sang. On est pas censé avoir ce type de sentiments pour la personne à qui l'on dit tout. Parce que maintenant, il avait envie de faire tout l'inverse. De ne rien montrer, de ne rien dire par peur de tout perdre sans rien avoir à y gagner.
Normalement il n'y a pas de " trop loin " avec son meilleur ami. Pourtant, si. Même si ça n'était pas contrôlé, Forest s'en voulait. Alors dans un schéma semi punitif, il fit tout pour ne pas approcher de la cause de ce désastre. Parce qu'il était dangereux de jouer avec des choses aussi susceptibles et incertaines que des sentiments.
Et c'est exactement ce que tous deux s'imposèrent individuellement toute la sainte journée.
Bien que Thaddeus soit plus à même d'encaisser ce qu'il ressentait, il en était pas moins choqué. Il y avait une différence entre être prédisposé à l'accepter, et l'accepter. Savoir qu'il était également attiré par les mecs ne rendait pas bénin le fait d'avoir des sentiments pour son meilleur ami.
Car Forest était et restait son meilleur ami avant tout. Et une des cinq personnes avec qui il passait la plupart de temps à cause et grâce à sa profession. En y réfléchissant deux minutes, ils étaient dans la pire position pour que ce genre de chose arrive : célèbre, dans un groupe populaire, une image de sexy hétéro collée à la peau et des copines attitrées. Bref, cette chose n'aurait jamais dû commencer, elle aurait jamais dû continuer et encore moins s'ancrer en eux. Ou s'encrer. Le fait était qu'avant d'enlever quelque chose de quasi permanent, il fallait du temps.
J'ai pas demandé une nouvelle carte à jouer.
Cette carte était trop imposante, trop encombrante pour rentrer dans le jeu sans dommages collatéraux. Et cette fois, le Joker ne pouvait rien y faire. Le seul moyen de s'en débarrasser était de la déchirer et voir si elle continuait à exister...
___
Toute l'équipe devait se retrouver dans le hall de l'hôtel à huit heures pour partir sur le lieu de tournage de leur nouveau clip. Forest s'était préparé à toute vitesse pour être une-fois-n'est-pas-coutume, le premier prêt dans le hall de l'hôtel.
Lorsque l'équipe commença à descendre dans le hall, il resta affalé dans l'un des fauteuils en face de la réception, et se concentra pour ne pas quitter son téléphone des yeux. Notamment quand il aperçu du coin de l'œil les baskets noires de Thaddeus. Sa seule envie était de s'enterrer sous le carrelage pour arrêter les battements de son cœur.
Malgré son envie de rien changer à ses habitudes, ça allait être beaucoup plus compliqué que ça...
Alors quand on lui indiqua de monter dans le même van que Thaddeus trois minutes plus tard, il feinta de retourner chercher quelque chose dans l'hôtel (une bouteille d'eau) pour laisser sa place à Phil.
Peur et lâcheté quand tu nous tiens...
Thaddeus était dans ce même état d'esprit. Le mot d'ordre : on ne s'approche pas du danger. Celui de creuser un trou dans sa poitrine et d'y tomber sans pouvoir en sortir. Il ne pouvait pas expliquer comment ou pourquoi mais à la seconde où Forest avait ouvert les yeux, il avait compris que ça n'était plus pareil. Pour aucun des deux.
Et là il venait de voir Forest faire demi tour à la dernière seconde pour ne pas rentrer dans le van avec lui. Mais pour être honnête, il était soulagé... A la place, Phil vint s'asseoir à côté de lui, et comme il l'avait un peu planté la veille au soir au Casino... Thaddeus n'échappa pas à sa curiosité..
- Alors, hier soir ? Il s'est passé quoi ? demanda le texan.
Thaddeus hocha de la tête et réfléchit à ce qu'il pouvait imaginer son ami... Mais c'était surement idiot de croire que Phil n'avait pas fait le rapprochement tout seul. Il avait surement demandé à Neil et Isaac s'ils l'avaient vu, et constater par la suite que Forest n'était pas avec eux non plus.
Thaddeus rencontra son regard et hésita un instant avant de répondre.
- Sérieusement il se passe quoi ? reprit Phil. Il vient d'inventer une excuse pour pas monter dans ce van. Il est autant flippé que ça ? C'est ridicule, on est tous amis, il peut faire le trajet avec toi sans que personne se doute de rien ! contesta Phil doucement.
La respiration de Thaddeus se débloqua et il s'affala sur le siège. Son regard dériva de l'autre côté de la fenêtre.
- C'est pas ça le problème...
- Pourtant c'est exactement ce que tu me disais hier.
Thaddeus ferma les yeux et cala sa tête prêt à s'endormir.
- Oui mais c'est pas ça. On peut arrêter dans parler s'il-te-plaît ? Merci.
Phil fronça les sourcils. Thaddeus était particulièrement renfermé d'un coup.
- Hum... Ok. Comme tu veux, répondit-il un peu dubitatif mais n'insista pas davantage.
Thaddeus sentait que la journée allait être longue. Forest allait surement l'éviter comme la peste alors que les images de la nuit ensemble ne cessait de réapparaître dans ses pensées. Le tournage allait être épuisant au milieu d'un désert à 40 degrés, auquel s'ajouterait l'épuisement émotionnel.
Super.
Son cerveau se coupa et il s'endormit durant le trajet, sans la moindre envie de vouloir se réveiller.
Forest de son côté se sentait très immature d'agir de cette façon. Mais lui faire face à peine deux heures après avoir compris que ce n'était pas si superficiel que ça, il ne pouvait pas.
Pourtant, le sentiment de connerie s'accentua. Proche d'une route déserte étaient installées plusieurs caravanes pour contenir le matériel son et lumière, salle d'essayage, maquillage, et différentes loges pour l'équipe. Mais impossible pour Forest de se relaxer à cause de cette peur idiote que Thaddeus puisse rentrer dans la même caravane que lui et que l'ambiance soit si étrange, que même les personnes autour d'eux puissent le ressentir.
Vraiment crétin.
Mais impossible.
Après tout, ils étaient juste deux amis, non ?
Ok, plus du tout...
Heureusement Anaria la réalisatrice et l'équipe de prod les accaparèrent très vite et les guidèrent dans ce qu'il devait faire. La scénario les mettait en scène autour du concept de la solitude, le thème de leur musique. Des planches qu'ils avaient vu, les plans allaient être magnifiques, grandioses, au milieu de ce désert, de ces routes vides, shootés à des dizaines de mètre de hauteur.
Pendant que l'un tournait sa partie, les autres en profitaient pour manger, faire des retouches coiffures, se faire briefer pour préparer le plan suivant, ou encore pour se faire photographier afin de communiquer sur leur nouveau single. Bref, un vrai marathon qui laissa peu de temps aux considérations relationnelles. Et Forest, tout comme Thaddeus, bénirent ce tournage pour ça. Ne pas leur laisser le temps de trop réfléchir.
Certes à plusieurs reprises ils avaient échangés ce regard gênant qui disait " pardon d'être comme ça mais je peux pas faire autrement". Mais c'était la seule communication digne de sens qu'ils s'autorisèrent tout au long de la journée. De toutes façons, même les conversations avec Phil, Isaac et Neil se résumaient à quelle était la prochaine scène où à quel moment ils auraient un break.
L'effervescence de la journée était telle qu'elle dissimulait sans effort l'inconfort du brun et du plus vieux. Et miraculeusement, la journée passa.
Bien évidemment, tous deux avaient envisagé le scénario où ils allaient devoir aborder le sujet. Mais... C'était ça la question : quel sujet ? Leur prétendu... leur prétendu quoi ? Leur prétendu rien du tout. C'était du rien et du tout à la fois, un vrai bordel infini et indéfinissable.
En soit, rien ne justifiait ce froid étrange entre eux, rien de grave n'était arrivé, aucune dispute, rancune, ou désaccord. Non rien. Sauf que lorsqu'on choisit de s'enfuir, on se retrouve comme un con à ne pouvoir aller dans aucune direction.
Si seulement tout pouvait redevenir comme avant, rien qu'une journée. Redevenir eux, sans ambiguïté, sans égards et considérations spécifiques l'un pour l'autre.
Quand Anaria annonça le fin de la journée de tournage, la fatigue physique était intense, mais la fatigue émotionnelle qui pesait sur les épaules de Thaddeus et Forest était intenable. Ils ne s'étaient pas décrochés un seul mot sur la situation. Ils avaient réussi à échanger que des " Tiens " pour se passer une bouteille d'eau, quelques " Pardon... " maladroits, et ce fameux regard trop étrange pour même le noter.
En fermant tous leurs moyens de contact, ils avaient fait de cette journée un flou émotionnel. Thaddeus en avait même pas dit un mot à Lela de la journée.
En rentrant à l'hôtel, toute l'équipe était exténuée. Plusieurs dormaient déjà profondément dans leurs voitures quand ils arrivèrent à l'hôtel à tout juste 22 heures. Les considérations étaient mises de côté puisqu'il voulaient tous retrouver un lit et dormir. Alors une fois dans l'ascenseur, aucune importance que Thaddeus et Forest soient ensemble ou non. Aucun n'avait la force de parler. De plus, Neil était avec eux. A moitié endormi, ils étaient moins tendus, la pression se relâcha enfin, et la désolation face à cette journée était claire.
Tout ça était un vrai désastre, et quoi de mieux que de le lire dans les yeux de la personne qui en est l'origine. L'origine malgré elle, certes, mais l'origine quand même.
Thaddeus adossé à la paroi de l'ascenseur, la tête appuyée contre le mur et ne quitta pas Forest des yeux. Forest, qui lui aussi n'arrivait pas à se défaire de son emprise. Comme le matin même. Un discours silencieux, bien plus triste que ce qu'ils imaginaient en revanche. Tous deux avaient les traits tirés, et ils n'essayaient pas de cacher leur fatigue. Ils ne se lâchèrent pas du regard, comme absorbé par l'abattement de l'autre. Neil dans son monde ne voyait rien, et pourtant il y avait tellement à voir : un appel à l'aide mêlé au refus de vouloir affronter les choses.
L'ascenseur s'arrêta à leur étage, et c'est seulement une fois les portes ouvertes qu'ils laissèrent leurs regards se perdre autre part que dans l'immensité de leur désolation.
Ce discours était peut-être celui qu'il fallait. Ils savaient que l'autre était sur cette même longueur d'onde étrange, et qu'ils n'avaient pas l'intention de résoudre... alors plus besoin de faire semblant. Même si le manque reviendrait surement très vite.
Ce soir là, ils ne leurs fallut que quelques secondes pour tomber dans les bras de Morphée.
___
Le lendemain matin, le même rituel s'effectua. Van, trajet, arrivée sur tournage, maquillage, habillage, et reprise des plans manquants. Comme d'un commun accord un peu tordu, Forest et Thaddeus évitèrent soigneusement d'avoir des contacts l'un avec l'autre. Comme si cette nouvelle carte était bien plus imposante que ce qu'ils pensaient. Elle les éloignait sans que la raison de l'un ou de l'autre ne puisse prendre le dessus. C'est donc ainsi que les plans s'enchaînèrent, que les instructions d'Anaria et de la prod exécutèrent chacun de leurs geste, sans seconde pensée. Le tout surplombé par par un soleil de plomb et un fort manque de sommeil. Fort heureusement le tournage devait se terminer tôt.
Avant de repartir en direction de l'aéroport, ils enregistrèrent un petit message pour la fan à l'origine du scénario de leur clip. Vidéo faussement personnelle qui bien entendu serviraient également à faire du contenu sur leur site et réseaux sociaux... Mais qu'importe, les garçons avaient - au milieu de tout ça - pris un vrai plaisir à honorer la créativité d'une personne qui était la raison de leur succès.
C'était surement la seule chose agréable de ces deux jours.
_____
Le lendemain matin, le jet entama sa descente vers LAX, l'aéroport de Los Angeles.
Toujours aucun mot depuis leur réveil ensemble deux jours plus tôt. Deux jours sans aucune mention sur la situation. Et mine de rien, cela faisait près de deux heures que ça tournait dans la tête du brun.
Le manque de mots, d'attention, de regards, était un discours assez explicite. Thaddeus était aussi heureux que terrifié à l'idée que ce silence puisse dire que Forest ressentait exactement la même chose que lui. Jusqu'ici, il pensait juste que Forest flippait face à ce que cette nuit pouvait impliquer, mais de là à ce que ça affecte son comportement de cette façon... C'était trop.
Mais quitte à être trop, que ça le soit jusqu'au bout.
Forest sentit une main pousser légèrement son épaule. À moitié réveillé, il savait que l'avion n'allait pas tarder à atterrir, mais l'idée de donner la possibilité à Thaddeus de venir lui parler était à proscrire. Son cœur se mit à battre à ce touché, espérant de toute ses forces que ce ne soit pas Thaddeus qui ait eu la très mauvaise idée de venir le réveiller.
En prenant une grande inspiration, il ouvrit timidement un œil. Il sentit son cœur faire un bon avant de voir que les jambes affublées d'une jupe crayon n'appartenait définitivement pas à Thaddeus. Il ouvrit les deux yeux et releva le visage vers l'hôtesse qui lui indiqua que le jet allait atterrir dans moins de vingt minutes et qu'il devait se rasseoir convenablement. Il jeta un œil dans l'avion et rien n'était à déplorer. Thaddeus était deux sièges plus loin, appuyé sur la petite tablette en face de lui, lunettes sur le nez et visage penché sur un livre. Soulagé, Forest releva son siège, jusqu'à ce que ses yeux tombent sur la petite tablette en bois verni sous le hublot à côté de lui. Il n'avait rien posé dessus avant de s'endormir, et maintenant y trônait quelque chose qui affola son cœur de façon déraisonnable.
Un carnet avec une fine couverture en cuir, comme celui de Thaddeus.
Oh non. Ah non.
Pourquoi fallait-il que Thaddeus tienne toujours ses promesses ? Parce qu'à cet instant précis, il s'en serait bien passé. Pas de carnet aurait été très bien. Mieux que très très bien.
Il releva la tête vers Thaddeus, mais il n'avait pas bougé de position. Comme si il s'attendait à ce qu'il ait senti les battements de son cœur s'affoler, et ses pensées de bousculer.
N'importe quoi.
C'était quoi le message exactement ? Certes, ils avaient eu cet échange en écrivant sur le carnet de Thaddeus, mais c'était qu'un pauvre jeu. Et il avait l'audace de lui donner un carnet à ce moment précis.
VOUS LISEZ
BIRTHDAY BLACKOUT
Teen FictionDes cuites on en a tous eu. Parfois on rigole juste un peu plus que d'habitude, et parfois on termine avec un mal de tête à couper au couteau. Puis il y a les quelques rares fois, où l'alcool a réussi à s'immiscer si profondément dans notre crâne, q...