Partie IV | Ma fin

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Eté 2013

Je te regarde courir dans notre appartement. Tu imagines que tu es une fée. Tu fais semblant de voler en secourant les animaux blessés par des « méchants hommes » comme tu le dis. Tu es joyeuse aujourd'hui. Ta semaine à l'école s'est bien passée et tu as décidé de me laisser tranquille. Alors tu joues, seule. Tu t'imagines des univers. Aujourd'hui, ce sont les fées. Demain, tu élèveras des dragons et après-demain, tu seras pompier. Tu as toujours eu une imagination débordante. C'est sûrement à cause de moi. Je n'aime pas jouer avec toi. Je ne te lis pas des histoires avant de t'endormir. Tu es capable d'ouvrir un livre toute seule. Tu n'as pas besoin de moi. Je ne veux pas que tu aies besoin de moi. Je ne veux pas que tu dépendes de moi parce que je ne suis pas capable de le supporter.

L'autre jour, tu m'as dit que tu voulais avoir une paire d'ailes de fée pour ton anniversaire. J'ai grimacé. Je n'aime pas t'acheter des cadeaux. La plupart du temps, c'est à Nikki que tu fais des demandes. Je suis incapable de te faire plaisir parce que je ne t'aime pas. Je ne peux rien te donner. Câlins, bisous, tendresse. Amour en général. Tu demandes tout ça à Nikki, mais pas à moi. Tu as finalement compris que toi et moi, on ne sera jamais une mère et sa fille. Nikki est sûrement une meilleure figure maternelle. Elle fait ce qu'elle veut. Je ne lui en veux pas de s'occuper de toi. En fait, je m'en moque tant qu'elle ne me fait pas la morale sur mon comportement.

Je sais que parfois, elle n'est pas ravie. Elle me lance ce regard rempli de reproches. Elle pince les lèvres quand je te repousse. Pourtant, elle reste silencieuse. C'est elle qui m'a forcée à te garder, alors elle n'a rien à dire. Nikki, elle ne comprend pas, mais elle sait que je ne suis pas heureuse. Ça serait mentir de dire que, parfois, je ne culpabilise pas. Quand tu es loin de moi, quand je suis seule dans notre appartement, oui, ça m'arrive de me dire que je suis injuste. Puis tu réapparais, avec ton sourire et ton besoin d'amour. Et j'oublie cette culpabilité. Je ne peux pas être désolée de te haïr. Je ne veux pas me mentir. Oui, pour les autres, je suis sûrement une mauvaise mère. Mais ils ne sont pas à ma place. Ils ne savent pas ce que j'ai vécu et ce que je vis tous les jours.

Tu n'es pas responsable des actes de ton père. Sauf que tu es comme lui. Tu lui ressembles tellement. Tu n'es pas innocente. Je te condamne peut-être un peu vite. Tu seras peut-être une merveilleuse jeune femme. Tu deviendras peut-être médecin, comme j'aurais voulu l'être. Tu sauveras peut-être des centaines de vies avec tes mains. Tu seras peut-être généreuse, gentille et altruiste. Mais même si te devais être comme ça, sache que je ne serai jamais fière de toi. Comment être fière d'une erreur de la nature ?! En fait, non, je ne pense pas que tu seras meilleure que lui.

Une fois, on m'a prise pour ta nourrice. Les préjugés me mènent encore la vie dure. Pourtant, je conçois que ce soit difficile de croire qu'on est une mère et sa fille. Je ne t'ai rien transmis. J'ai la peau noire et toi très pâle. J'ai les cheveux noirs et bouclés et ce n'est donc pas de moi que tu tiens ta soyeuse chevelure rousse. Même nos yeux sont différents. On ne partage aucun trait. Tu es sa copie conforme. Je ne sais pas à quoi il ressemblait. Mais maintenant, quand je te vois, je sais exactement comment il était.

Tu n'es pas moi. Tu es lui.

Et je prends la décision en une fraction de seconde. Je me lève sans un regard pour toi et vais m'enfermer dans la salle de bain. Je verrouille la porte, même si je sais que tu ne viendras jamais me déranger. Tu as appris à ne pas m'approcher. Tu as sept ans. Tu es jeune et pleine de vie. Alors que j'ai l'impression d'en avoir des centaines. Depuis cette nuit-là, je ne vis plus, je survis. Et depuis ta naissance, je dépéris. La vie n'a plus aucun goût. Je trouve tout sans saveur. Tu absorbes tout. La joie se transforme en peur. Ton sourire ravive mes pires souvenirs. Je te déteste, Ivy ! Je t'ai donné naissance, putain ! Et j'aurais préféré que tu meures. Je n'aurais jamais dû céder à Nikki. J'aurais du te faire adopter, pour t'éloigner de moi.

J'en ai marre. Je n'ai plus envie de me lever chaque jour pour faner un peu plus. Je ne veux plus de ces journées sans saveur. Ça fait longtemps que je suis morte. Je lève les yeux vers l'armoire à côté du lavabo. Je l'ouvre, les mains tremblantes, mais avec détermination. Je sais ce que je cherche. Je sais ce que je veux. Ça fait longtemps que je n'ai pas ressenti ça. Je me sens bien. J'esquisse un sourire en prenant ces boîtes de médicaments. Elles m'attirent, plus que toi qui joues dans le salon. Elles sont plus belles que toi.

Je prends ces pilules, sans penser à toi. Et tu sais quoi, je me sens libre. La seule chose que je regrette, c'est de faire de la peine à Nikki.

Vivre et BrûlerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant