Partie VII | Fatalité

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Février 2020

Tu as l'impression d'avoir passé ta vie à pleurer. Mais ce n'est pas de ta faute. Une nouvelle fois, tout s'effondre. Une nouvelle fois, on te brise. Pourras-tu encore faire confiance à quelqu'un ? Pourras-tu encore t'attacher et aimer quelqu'un ? Aujourd'hui, tu ne le penses pas. Tu as tellement mal. Tu te sens vide. Tu as juste envie de dormir pour te réveiller autre part. Malheureusement, tu as beau fermer les yeux, tu es toujours coincée dans cette voiture.

Tu les maudis. Tu te maudis en te demandant ce que tu as fait de mal. Tu sais que tu n'es pas parfaite. Tu as des difficultés à l'école, avec ta dyslexie. Pourtant, tu essaies de faire des efforts. Tu travailles dur pour te maintenir au niveau des autres. Tu demandes toujours à tes parents adoptifs de t'aider quand tu ne comprends pas. Franchement, tu fais tout pour qu'ils voient que tu essaies. Et tu es une grande sportive. Toujours pleine d'énergie, tu gagnes des compétitions.

Mais ça ne semble pas suffire. Tu ne suffis jamais. D'abord ta mère, puis Nikki et enfin tes parents adoptifs. Ils t'ont tous rejetée et abandonnée. Et à quatorze ans, tu ne peux pas comprendre. Tu sais que tu n'es pas toujours facile. Tu sais que tu repousses souvent les gens. Tu as du mal à te confier sur ce que tu ressens. Et il y a des mauvais jours. Parfois, tu ne parles pas de la journée. D'autres fois, tu t'effondres en larmes et tu ne laisses personnes te réconforter. Oui, il t'arrive de piquer des crises pour rien. Mais tu as seulement peur. Tu as peur de t'attacher et de faire confiance. Tu crois ne rien mériter parce que tu es la fille d'un violeur. Tu manques de confiance en toi, sauf que tu ne veux pas que les autres le sachent. Alors tu te caches. Derrière les pleurs. Derrière le mutisme. Et parfois, derrière la colère. Tu as seulement quatorze ans. Comment peux-tu gérer ça ?

Pourtant, tu es gentille, serviable, bosseuse. Le seul problème, c'est que tu n'es pas assez forte. Et ça se traduit même physiquement. Tu ne le sais pas, mais tes mains trembleront toute ta vie. Parce que c'est juste une manifestation de la peur que tu ressens, celle qui est constamment dans ton sang.

Sauf que tout ça, tu ne voulais pas leur dire. Et peut-être que ça a fini par les fatiguer.

La tête contre la vitre, ton souffle forme de la buée contre le verre glacé. Tu gorges te fait mal. Tu as hurlé, pleuré, imploré pour qu'ils te gardent. Parce que tes parents adoptifs ne pouvaient pas t'abandonner eux aussi. Mais rien n'y a fait. Ils ont laissé les services sociaux t'emmener. Ils t'ont regardée t'effondrer et partir. Ils t'ont détruite et ne semblaient même pas s'en soucier. Pourtant, ils ont perdu un enfant aujourd'hui.

Et tu les hais. Ils t'ont redonnée, sans plus d'explications que : « Tu nous causes trop de problèmes. On voulait un enfant parfait ». Mais personne n'est pas parfait ! Surtout pas un enfant !

Et tu as juste l'impression, qu'encore une fois, c'est toi qu'on sacrifie.

20 Décembre 2020

Tu n'aimes pas cette journée. Elle a mal commencé. Tu t'es faite réveiller par ta camarade de chambre, que tu n'apprécies absolument pas. Hilary restera la meilleure que tu aies connue. À côté, Dana est terrible. Vous vous disputez pour un rien. Enfin, ce n'est pas comme si tu allais rester longtemps ici. En dix mois, tu as déjà changé deux fois de famille d'accueil. Ça ne se passe pas aussi bien que quand tu étais petite. Tu ne t'entends jamais avec les parents, entre ceux qui vous ignorent et ceux qui vous prennent pour leur boniche. Enfin, pour l'instant, aucun n'a été violent. Et si ça devait arriver, tu ne te laisserais certainement pas faire.

Cela fait deux mois que tu as atterri dans cette troisième famille où ta camarade de chambre te réveille toujours agréablement. Et ce matin a été comme les autres, ce qui a annoncé la couleur. Les cours ne se sont pas déroulés comme sur des roulettes. Tu as eu une sale note en mathématiques et clairement, tu n'aimes pas cette professeure d'Histoire qui adore t'interroger. Le seul moment de plaisir aujourd'hui a été ton entraînement d'athlétisme. Tu as quand même de la chance de pouvoir continuer. Tu as beau changer de famille, tu n'as pour l'instant pas changé de lycée et les familles acceptent que tu fasses du sport. Bon, tu n'en fais plus autant qu'avant, mais tu essaies de te maintenir en forme.

Tu t'effondres dans ton lit après cette journée pourrie. Tes yeux se posent sur le plafond jauni. Tout comme lui, les murs auraient besoin d'un bon coup de peinture. Mais ce n'est pas la priorité des propriétaires. Ils se moquent bien de l'état de la chambre. La maison n'est pas si mal, même si elle mériterait un rafraîchissement. Enfin, tu ne vas pas t'en plaindre.

Tu soupires en entendant des pas dans les escaliers. Dans quelques instants, ta porte s'ouvrira et une petite tête apparaîtra. L'enfant de cinq ans te sautera dessus en te demandant de lui raconter une histoire, parce qu'ici, les parents s'en tapent. Et tu diras, oui, parce que tu veux rendre l'enfant heureux, même si ce n'est que pour quelques minutes. En attendant, tu continues de fixer le plafond. Tu penses à l'avenir. Aujourd'hui, tu as quinze ans. Et tu te demandes ce que te réserve encore l'avenir. Aujourd'hui, tu es juste une adolescente qui est déjà fatiguée de vivre. Fatiguée mais toujours combattante. Tu ne vas pas abandonner comme ta maman. Tu vas te battre. Tu as le droit de vivre.

— Joyeux anniversaire Ivy...

Vivre et BrûlerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant