Délivré

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Assis à même le sol de terre battue dans le petit réduit en tôles rouillées, les bras enroulés autour de ses jambes, le menton sur les genoux, Gaston avait longuement pleuré. Il se sentait coupable de ce qui venait de se passer. Si seulement il n'avait pas pris ce Luger, s'il l'avait laissé à sa place...rien de tout ceci ne serait arrivé. 

Bien sûr, le tunnel n'avait pas été découvert. Mais cela ne compensait pas la perte d'une vie humaine. Il eut mille fois préféré sacrifier ses espoirs d'évasion, et que ce drame eut été évité. Il pleurait aussi sur Paulo, son ami, qui allait devoir porter le poids de son acte pour le restant de sa vie. Il se félicita simplement de ne l'avoir pas laissé cacher l'arme dans le tunnel; ils auraient alors certainement tous été abattus. Et le baraquement aurait été fouillé de fond en combe; ce qui aurait conduit de toute façon à la découverte du tunnel sous le lit, tôt ou tard. 

Il se mit à prier. Intérieurement, il s'adressa à Dieu et se déchargea auprès de lui de toute sa peine.

-"Seigneur, pardonnez à Paulo, il n'a pas réfléchi, et pardonnez-moi également. Je ne le mérite pas; mais dans votre bonté qui ne faillit pas je sais que Vous le ferez; Vous l'avez déjà fait, j'en suis certain. Je vous remercie. Faites s'il vous plaît, qu'aucun de mes camarades ne subisse de représailles par ma faute. Inspirez-leur de partir ce soir; de ne pas différer leur fuite davantage. C'est leur seule chance...Donnez-moi la force de mourir en brave, et en chrétien. Préparez-moi une petite place près de Vous; ma seule consolation est de Vous voir bientôt, Vous que j'aspire depuis si longtemps à connaître. Vous et votre sainte Mère, qui est aussi la mienne..."

Immobile dans le noir, il ne faisait aucune illusion sur son sort prochain. Il serait fusillé, il le savait. Étrangement cette pensée ne lui faisait pas peur; il était sûr d'avoir fait ce qu'il fallait.

Il se disait vaguement que ce serait l'aboutissement de sa vie de jeune scout: l'ultime service, le sacrifice de sa propre vie pour sauver celle d'un autre.

Fatigué, ayant séché ses larmes, il s'allongea comme il le put dans ce réduit étroit; et la tête posée sur le bras, la conscience tranquillisée, il se laissa doucement aller au sommeil. 

Pendant ce temps le commando dirigé par Victor se préparait. Le reste des troupes avait pour consigne de faire croire pendant ce temps qu'ils dormaient tous, en cas d'un contrôle inopinée des sentinelles, qui avaient doublé leurs effectifs de patrouille ce soir-là. On attendit le prochain passage des sentinelles, qui martelaient le sol de leurs bottes d'un pas cadencée. Une patrouille approcha; elle passa devant le baraquement et s'éloigna. C'était le moment. 

C'est avec la plus grande prudence que les cinq hommes, Victor en tête, se faufilèrent à l'extérieur. Ils se mirent à ramper, priant pour que la lumière des projecteurs dont ils étaient proches de ce côté-ci du camp, ne les trahissent pas. Mais la chance était de leur côté ce soir-là; ils s'éloignèrent  et gagnèrent l'obscurité sans qu'aucune des sentinelles perchées sur leurs miradors à proximité ne s'aperçut de rien. 

Ils rampèrent vite; en un quart d'heure ils avaient traversé le camp dans sa longueur. Ils s'accroupirent derrière le dernier baraquement, et aperçurent le gnouf, gardé par trois sentinelles dont deux leur tournaient le dos. La troisième nettoyait son arme, et occupée à cette tâche ne levait pas les yeux.

-"C'est maintenant !" murmura Victor. "Toi et toi, " fit-il en désignant deux de ses camarades, "vous vous chargez des deux de dos; je prends le premier."

-"Je prends celui de gauche", fit Jean-Claude, un grand roux costaud. 

Les rôles ainsi répartis, ils s'avancèrent à pas de loups vers le petit réduit où Gaston dormait profondément, bien loin de se douter de la tournure que les événements s'apprêtaient à prendre pour lui. Victor parvint à se positionner derrière la première sentinelle, toujours occupée à astiquer son arme. Il attendit que ses deux autres camarades aient atteints chacun leur cible; et c'est tous les trois en même temps qu'ils plaquèrent leur main sur la bouche des soldats et les endormirent proprement d'un coup précis bien asséné sur la nuque. Les trois corps glissèrent au sol; c'était une victoire totale.

Un mot d'ordre: servirWhere stories live. Discover now