L'entrepôt

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Les jours suivants se déroulèrent de la même façon, et une certaine routine s'installa chez les prisonniers du baraquement 21. Tous les matins, Victor, Maurice et Jamie remplissaient leurs poches de la terre remuée la veille au soir, et les vidaient dans la forêt quand on ne les regardait pas. Le matin et le soir, ils allaient tous aux sanitaires, et vidaient à nouveau leurs poches. Gaston avait fabriqué quelques planches de plus, mais Paulo lui avait momentanément demandé d'interrompre, estimant qu'il y en avait assez pour le moment. Il en avait fallu quatre pour camoufler le trou; on n'avait pas encore assez avancé le tunnel pour avoir besoin d'étais. Le tas de planches clandestin était donc provisoirement camouflé sous les ronces; il se voyait un peu mais il fallait un œil averti pour s'en rendre compte. Ainsi il ne fut pas découvert. 

Paulo profitait d'une cigarette avec Gustav à l'occasion; c'était leur petit secret. C'est ainsi que sans en avoir l'air, il lui soutirait des informations. Un nouveau convoi de prisonniers était attendu; il manquait encore trois baraquements pour les recevoir d'ici la fin de semaine. Le bâtiment d'apparence abandonné servait au stockage de vêtements récupérés sur les prisonniers, ainsi qu'à entreposer du carburant, servant à alimenter le camp en électricité. C'est ainsi que de puissants projecteurs restaient allumés la nuit entière le long des barbelés, facilitant la vision des sentinelles sur leurs miradors, et qu'il était donc impossible de sortir des baraquements sans être vus. Le bâtiment près de l'entrée du camp servait aux officiers en charge des prisonniers; ils y mangeaient et parfois y dormaient. Il avait une clé dont Gustav possédait un double dans sa veste, et qu'il conservait précieusement sur lui. 

Lorsque Paulo eut connaissance de cette précieuse information, il lui fallut user de toute sa force de persuasion pour convaincre Gustav que par cette chaleur, s'il enlevait sa veste, personne ne lui en voudrait, ni ne trouverait à y redire. Trois jours durant, il poussa la sentinelle, sans en avoir l'air, à se mettre plus à l'aise, sans parvenir à le convaincre. 

-"Si ch'enlèfe ma feste, z'est la cour marziale !"

-"Beuh non, voyons, quelle idée ! de toute façon ici personne ne te voit, à part nous, et on ne dira rien, regarde, moi aussi j'enlève ma veste. Ah, c'est mieux comme çà !"

Et oui, Paulo avait même poussé la familiarité jusqu'à tutoyer son geôlier, qui ne parlant pas bien le français, ne faisait pas vraiment la différence et donc ne s'en formalisait pas le moins du monde. 

-"Du crois? pon, pon..."

Et la veste et son précieux chargement se retrouvèrent un beau jour soigneusement posés sur un tas de planche. Restait maintenant à envoyer Gustav un peu plus loin sans y avoir l'air...il fallait trouver une bonne raison. 

Il patienta quelques jours; le temps de trouver une idée, et surtout que Gustav prenne l'habitude d'ôter chaque jour sa veste quand la chaleur commençait à monter, sans plus se poser de questions. 

Un matin, mût par une sorte d'instinct, il se dit soudain qu'il n'aurait rien à perdre à aller jeter un petit coup d'œil à l'intérieur du bâtiment abandonné. Sur un de ses trajets avec le chariot, il prit tout naturellement la direction du bâtiment dès qu'il fut soustrait aux regards. Il gara son chargement derrière les fourrés et se mit en quête d'une entrée. 

La seule qu'il vit au départ, était cadenassée. Impossible de passer par là. Au bout de son troisième tour du bâtiment, il aperçut une sorte de jour au niveau du sol, entre une tôle de fer de la paroi et le sol, derrière les fourrés. Là le fer de la structure était rouillé, et en creusant bien il y avait moyen de se glisser à l'intérieur. Par prudence, il y alla en plusieurs fois. A chaque trajet, il faisait le détour et creusait trois minutes à toute vitesse avec ses mains. Il les frottaient ensuite avec de la poussière pour les nettoyer, avant de repartir en vitesse avec son chariot.

Au bout de trois jours, l'ouverture était assez large pour qu'il puisse s'y glisser. Les épines camouflaient la terre qu'il avait ôtée; c'était parfait. A un de ses nombreux passages, il s'y aventura. Il rampa, s'écorcha tout de même le dos, mais se redressa couvert de terre dans un immense entrepôt. Il était rempli de barils et d'engins sous des bâches. En les soulevant délicatement il vit qu'ils s'agissait de camions, qui semblaient neufs, ce qui le surprit. Que faisaient-ils là? A quel usage les destinaient-on? Il y avait des étagères le long des parois, sur lesquelles étaient empilés des dizaines et des dizaines de pantalons, de vestes, de paires de chaussures. Cela pourrait servir plus tard, quand ils s'évaderaient. Ils auraient bien besoin de vêtements propres,  et ceux-ci l'étaient à première vue. Ce qu'il ignorait, c'était que les vêtements avaient été récupérés sur des dépouilles de prisonniers morts rapidement de mauvais traitements, de fatigue, ou fusillés.  

Mais il n'était pas au bout de ses surprises. Au fond du hangar, dans un coffre de fer fixé sur l'un des camions, et dont le couvercle était entrouvert, Paulo émerveillé découvrit une lampe à pétrole, des bobines de fils de fer, ainsi que des mèches et un briquet. Dans le fond il y avait un marteau, deux clés anglaises,une boîte de vis. Quelle aubaine ! Il n'y avait plus qu'à prendre un peu de carburant, et il avait des allumettes; avec la lampe cela remplacerait la torche dont il rêvait pour poursuivre l'avancement du tunnel. Il y avait une clé sur la serrure du coffre, il la prit et la fourra dans sa poche. Il fit un petit tas de la lampe, qu'il avait auparavant remplie de carburant, des mèches, et du briquet. Il les plaça enveloppés dans une veste empruntée parmi les vêtements près du passage, le long d'une pile de pneus. Et il ressortit. Il secoua la terre qu'il avait sur lui, reprit son chariot, et rejoignit Gustav le sourire aux lèvres. 

-"J'ai été un peu long, c'est qu'ils n'avancent pas bien vite, la machine était bloquée..mais c'est arrangé !" Et Gustav tomba dans le panneau comme à chaque fois, en hochant la tête avec approbation.

Paulo ouvrit alors son paquet de cigarettes, en sortit une qu'il alluma, sitôt accompagné par Gustav. Tout en fumant il expliquait quelque chose à grands renforts de gestes des bras et des mains, et par un mouvement calculé, fit mine de faire un mouvement trop empressé qui envoya son paquet voler quelques mètres plus loin. Il prit l'air penaud, et comme il ne bougea pas tout de suite, obligeant, Gustav se retourna et marcha de son pas lourd vers le paquet. Le temps qu'il se baisse pour le ramasser, et revienne, Paulo était entré et avait fouillé toutes les poches de la veste du brave homme. Il trouva une clé, espéra que c'était la bonne, la remplaça aussitôt par celle qu'il avait trouvé sur le coffre dans l'entrepôt, et fourra sa prise dans sa poche. Il se précipita à l'entrée du hangar, où Gustav le trouva adossé le long de la porte, très décontracté. 

La sentinelle lui tendit son paquet.

-"Merci, que je suis donc maladroit ! il ne fallait pas; j'allais y aller !"

Et Gustav fit signe que tout allait bien en secouant les mains d'un air de dire :

-"Mais non, mais non, ce n'est rien !"

Le soir venu, Paulo joua une des parties les plus dangereuses de son plan. Il récupéra la veste à l'intérieur de laquelle il avait dissimulé son butin, et la plaça dans le chariot vide. Il regagna la scierie, et mis la veste en boule sous son bras, comme si c'était la sienne. La lampe était grande et la veste ainsi disposée paraissait exagérément grosse, mais se mêlant à la cohue des prisonniers, il passa inaperçu. Il put atteindre le baraquement sans être inquiété.

Faisant part à Gaston le soir de ses découvertes et de ses trouvailles, il observa que décidément, la chance était de leur côté. 

Mais cela n'allait pas tarder à changer.    

Un mot d'ordre: servirWhere stories live. Discover now