Elles arrivèrent à la Taverne « le Chat cabré ». L'intitulé de l'établissement inscrit à la gravure grossière figurait juste au-dessus de la porte sur une plaque de ferraille. On avait cloué des planches en bois sur les murs de la façade pour y coller des affiches et publications diverses de la vie quotidienne du peuple.
Françoise découvrit avec surprise, une gravure satirique représentant un villageois maigre et crotteux porter le roi sur son dos, suivi de la citation « Je savais bien qu'il fallait que je mange un peu ! Vive le Roi, vive la nation ! »
Elle s'inquiéta à l'idée de rentrer dans la taverne. Et si on s'apercevait qu'elle était de sang noble ? Si elle s'exposait devant les gens du peuple, quel serait son sort ? Est-ce que la patronne lui ferait du mal ?
« Non, ce n'est pas possible, se dit-elle dans son for intérieur pour se rassurer. Marine m'a dit qu'elle était une bonne personne. Je vais pouvoir dormir ici ce soir et ensuite j'apprendrais à me mélanger aux citadins. Personne ne remarquera que je suis une Noble. Je vais m'adapter à cette nouvelle vie. »
- Allez, on rentre, fit Marine en lui attrapant le bras. Laisse-moi parler seule avec Claudine, assis toi au comptoir c'est tout.
L'endroit était très bruyant et sentait l'alcool. L'air était chaud et chargé des odeurs de la foule qui s'agitait dans tous les sens. Françoise observa chacune des scènes se dérouler sous ses yeux grands ouverts. Elle était captivée par le moindre détail ; tout était tellement nouveau pour elle qu'aucune pensée ne lui venait à l'esprit.
Elle suivit du regard tout d'abord un groupe qui formait une farandole et dansait en se fichant bien de respecter la même cadence. Puis, il y avait ces trois grands gaillards, contre le mur qui criaient à tut tête des chansons aux messages orduriers. L'un avait perdu son chapeau et cela ne le dérangea pas, car en continuant de chanter il l'écrasa avec sa botte boueuse, sans y prêter attention. La plupart des gens étaient attablés et riaient fort avec des chopes à la main. Au fond de la salle, deux chiens errants jappaient et réclamaient quelques morceaux de pain qu'une femme penchée par l'ivresse leur jetait.
C'était le rire et la misère qui se côtoyaient à la taverne. Le mot d'ordre semblait de boire jusqu'à plus soif. Françoise se sentait éloignée des doux plaisirs de son rang. Pourtant, elle ne regrettait rien. Comment expliquer ce sentiment amer qui lui écrasait le cœur ? Elle avait été rejetée et pourchassée, car elle ne correspondait pas au dogme de la Noblesse et ne voulait pas y appartenir. Son esprit était trop rebelle, mais.. Est-ce qu'elle appartenait à ces gens populaires ? Est-ce qu'elle était faite pour rentrer dans le Tiers état ? Naturellement elle répondrait non. Elle ne sentait sa place nulle part.
Françoise s'assit timidement au comptoir sur une chaise haute et posa ses mains sur ses genoux. Ses doigts serraient sa précieuse bourse.
La patronne était occupée à laver des verres dans un tonneau en bois. C'était une femme forte, habituée au travail difficile de la nuit, car elle possédait une grande énergie. Sa robe n'était pas portée correctement, son corsage vieilli était bien trop ouvert et tombait en guenille. Son visage de femme mûre était rond comme la lune et elle sifflotait un air de chanson l'air joyeuse. En relevant sa tête de la vaisselle, elle découvrit le visage de Françoise. Mais avant même qu'elle ne lui adresse un mot, Marine s'exclama :
- Hé attend j'ai envie de te parler !
Françoise s'étonna de voir à quel point tout le monde était si familier entre eux. Il n'y avait aucune manière, aucun code, rien de ce qui avait forgé son apprentissage de la vie mondaine.
Marine et Claudine partirent en retrait pour discuter. Cependant, le débat semblait animé et la patronne jetait régulièrement des regards inquiets vers la jeune Françoise. Elle parlait de plus en plus fort et soudain s'écria : « Oh Malheur, faut que je m'occupe maintenant de la pauvrette ! » Marine la collait en la suppliant : « Tu es si gentille, hein, qui le fera sinon ? Je ne peux pas la garder chez moi, mon père nous tuera toutes les deux ! ».
VOUS LISEZ
LE BEAU (en pause)
Historical Fiction18e siècle : Histoire d'amour sous la révolution française. Françoise est la fille du Duc de Fauconval. Dotée d'un tempérament libre et entêté à vouloir suivre ses propres directives, elle s'éprend d'un jeune fortuné et se persuade qu'il la prendra...