Le tic tac d'une montre.
Les rires lointains.
Les notifications de mon téléphone.
Le bruissement de l'eau sur le rideau de douche.Mais je n'entends rien de tout ça. Je suis dans la baignoire, en position fœtale. L'eau tiède frappe mon dos, inlassablement, mais je ne la sens pas. Je ne la sens plus. La tête dans les bras, posés sur mes genoux repliés, ne pense plus. Le sang n'irrigue plus certaines parties de mon corps, et je ne sens plus mes jambes. Mes cheveux gouttent sur mon nez.
Depuis combien de temps suis-je là, assise sur la faïence froide ? Qu'est-ce qui a fait que me soit retrouvé dans cette situation ? Je n'ai pas de réponse. Les yeux fermés, je reviens doucement à la triste réalité. Celle dans laquelle je suis malade. Lentement, je penche ma tête en arrière, pour étirer ma nuque. Le contact de l'eau sur mon visage fait a peu près disparaître les sillons sur mes joues. Tout aussi douloureusement, j'étends mes bras engourdis l'un après l'autre, et prends une inspiration libératrice. J'allonge mes jambes difficilement et ouvre enfin les yeux. La bulle dévastatrice dans laquelle je m'étais volontairement murée éclate subitement. J'éteins l'eau, qui coule depuis Dieu seul sait quand, et m'enveloppe tant bien que mal dans une serviette rêche . Debout contre le lavabo, dos au miroir, j'écoute mon corps revivre petit à petit. Mes poumons encore douloureux qui se gonflent, mon cœur qui reprend paresseusement un rythme décent, mes muscles qui se détendent lentement, et ma peau qui se réchauffe.
Je regarde ma montre, sur le rebord de la vasque, qui indique 17h. Ok, ça fait donc quatre heures que j'ai abaissé le loquet de la salle de bain. J'ai régulièrement ce type d'absence, depuis mes dix ans. En général, elle ne durent pas plus d'une demi-heure, tout au plus... Noah doit s'inquiéter. Mon regard se pose sur le legging et la polaire que je me suis préparée avant de me doucher. J'enfile donc le tout, à grand peine, étends la serviette sur le radiateur, et ouvre la porte. Cette opération m'a pris plus de vingt minutes...Par terre, adossé au murs d'en face, je découvre Noah. Ses traits, tirés par l'anxiété, sont plus marqués que d'habitude. Il a dû toqué, alerté par la durée inquiétante de mon séjour dans la salle de bain, et ne recevant aucune réponse, il se sera finalement assoupi en m'attendant. Ce garçon est un ange. Soudain, il sursaute comme si il sortait d'un mauvais rêve, et regarde autour de lui, l'air hagard. Lorsqu'après de longes secondes il prends conscience de ma présence, il saute sur ses pieds et me scrute. Il analyse chaque parcelle de mon visage, jauge de mon équilibre, vérifie que mes mains ne tremblent pas, s'arrête sur celles-ci. Ses yeux s'écarquillent, sa bouche s'ouvre, et il me lance un regard emplit d'effroi. Je baisse les yeux sur mes doigts, et les découvre complètement bleus. Je ne m'en étais même pas aperçue. Je vois dans ses yeux qu'il s'en veut. Il culpabilise toujours quand il n'arrive pas à temps pour gérer mes crises. Il sait qu'avec moi, il vaut mieux prévenir que guérir, car la guérison est longue et pénible. Je vois qu'il voudrait m'aider, de quelque façon que ce soit. Il voudrait me prendre dans ses bras pour me réchauffer, me parler pour me rassurer, essuyer les larmes qui n'ont pas cessées de dévaler mes joues, me guérir définitivement. Parce qu'autant c'est abominable pour moi, autant c'est une véritable torture pour mes proches... Je ne supporte aucun contact physique, aucune question, je ne peux pas dormir, j'ai énormément de mal à manger, et surtout je pleure silencieusement en continu, je ne retrouve l'usage de la parole que longtemps après. Ces périodes sont extrêmement éprouvantes. J'ai vu des dizaines de médecins, de psychiatres, de comportementalistes, mais personne ne sait ce qui déclenche ces « phases ». Pour m'en sortir, j'ai besoin de soutien constant et de beaucoup d'amour. C'est pour ça que Noah a emménagé avec moi dans ce ridicule petit appartement il y a quelques années. Il est incroyablement patient et compréhensif avec moi. Il est le seul à savoir me gérer aussi bien. Il est mon ange gardien.
Il me regarde dans les yeux, plus inquiet que jamais, car c'est la première fois que c'est si long. Il sait comme moi que le chemin sera long et difficile. Mais il sera là, à mes côtés, pour me relever chaque fois que je tomberai. Et nous n'en ressortirons que plus fort.
Sachant qu'il ne peut me toucher, il attend que je décide où aller pour me suivre et m'aider le plus possible. Pendant ces périodes, il met sa vie en pose pour ne vivre qu'à travers de mes demandes informulées.Je me tourne lentement, et me dirige à petits pas incertains vers l'escalier. J'ai besoin de réchauffer mes mains. Anticipant cette réaction, il descend les escaliers deux par deux et vas préparer l'eau chaude. Descendre ces dix-huit marches ne me prends que quelques secondes d'habitude. Là j'ai mis six minutes. C'était une crise particulièrement sévère, et tout mon corps hurle de douleur à chaque mouvement. Lorsque j'arrive dans la cuisine, je trouve une tasse de thé à l'hibiscus, une bouillotte, une grosse couverture de laine et une boîte de mouchoirs. Noah est de dos, il s'active à faire la vaisselle.
Je n'arriverai pas à soulever la tasse. Pas aujourd'hui. Je souffle, me rendant compte petit à petit de l'état catastrophique dans lequel je suis. Quand j'ai enfin réussi à atteindre la chaise, je gémis de détresse à cause de la douleur présente dans chaque fibre de mon corps. Petit à petit, mes doigts reprennent des couleurs au contact de la chaufferette. J'aurais peut être dû les laisser gelés... La chaleur a réveillé les nerfs, et je sens maintenant le sang pulser fortement dans mes extrémités. Noah est en train de téléphoner à l'hôpital d'Orléans, dans lequel je suis suivie, pour que l'hôpital de Dax nous fournisse une poche de morphine et un pied de perfusion dans les plus brefs délais. Je l'entends raccrocher, puis rien.
Silence.
Noir.
Rideau.
Fin de l'histoire.
Je me sens sombrer, pour la première fois de ma vie. Cette sensation aurait presque pu être agréable si elle n'était pas aussi effrayante.
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Maybe it's not about the ending but about the story
Teen FictionNoah et Eulalie Une histoire... pour le moins particulière.