(Contexte : Japon contemporain, réalité alternative)
Tout semble opposer Kohira Mariusu et Ichimoro Otokoma. Tout ou presque. Si les deux jeunes hommes sont des marginaux dans leur lycée, ils ne le sont pas pour les mêmes raisons. Alors que Mariusu...
Il s'avance dans les couloirs pour rejoindre la salle de classe. Zut ! Il n'y a plus personne devant la porte, l'année commence bien ! Il retient son souffle, hésite deux secondes et donne trois petits coups saccadés. La voix du professeur lui dit d'entrer.
« Monsieur Kohira ! Vous n'êtes pas en avance, j'espère ne pas déjà constater un relâchement dans votre sérieux habituel, commence l'enseignant.
- Excusez-moi professeur, cela ne se reproduira plus.
- Bon, puisque c'est vous, je ne vais rien dire pour cette fois. Allez-vous asseoir. »
Docilement, Mariusu rejoint son pupitre. Parmi ses professeurs et ses camarades, le jeune homme est connu pour son sérieux et sa rigueur. Comme prévu, le cours se passe sans autre surprise. Parmi les 39 élèves que compte la classe, seul Ichimoro est absent. Celui-là, il a toujours le don de se faire remarquer, même lorsqu'il est absent. Pendant plusieurs minutes les élèves ont droit au traditionnel discours d'avertissement et de motivation concernant le travail à fournir pendant cette année de terminale, pour l'obtention du certificat de fin d'étude (équivalent du bac en France).
Les deux premières heures de cours passent finalement assez vite. Mariusu se rend en récréation rempli de détermination mais aussi de crainte pour cette année qui promet d'être très chargée. Il est seul, comme d'habitude. Il se tient sous le préau, fait mine de consulter son téléphone portable, sans forfait internet puisque « pourquoi tu aurais besoin d'aller sur internet ? Concentre-toi sur tes cours », lui répétaient ses parents. Enfin, tout ça ce n'est qu'un manège destiné à montrer que non non pas du tout, il n'est pas seul ! Il attend juste que le temps passe...
De temps à autre il lève la tête pour voir ses camarades, heureux de se retrouver après les vacances. Il aurait aimé avoir le courage d'aller leur parler, de se faire des amis, de... Son regard tombe alors sur une autre silhouette solitaire. C'est Ichimoro. Otokoma... Il est là finalement ? Lui aussi est toujours seul, mais pas pour les mêmes raisons.
Avec sa dégaine J-Pop personnalisée, c'est sûr, il en jette. Ses bijoux, ses boucles d'oreilles, chaines pendantes et asymétriques, mais surtout, oh oui surtout, sa longue chevelure aux reflets de feu. Non pas noire ou encore colorée comme certains... Mais d'un brun où se mélange mille nuances de fauve, roux, noir... Mariusu ne se lasse jamais de contempler, en secret, cette chevelure sauvage et indisciplinée. Par moment, on dirait que le jeune homme lui-même n'arrive pas à dompter sa propre crinière. Alors, nonchalamment, il la bascule toute entière d'un côté de sa tête. Il ne l'attache jamais. Mariusu admire tellement ce côté original, sauvage, d'une ambiguïté parfaitement assumée. Otokoma n'a pas d'amis ? Il s'en fiche. Otokoma ressemble à une femme ? Il s'en fiche. Il a le hâle prononcé, un joli nez, légèrement en trompette, un visage allongé, fin et délicat, aux longs yeux étirés, d'un noir à faire tomber. Mariusu se sent insignifiant à côté de lui. C'est peut-être pour ça aussi qu'ils n'ont pas d'amis, l'un trop médiocre, l'autre trop libre.
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Il se rappelle sa première année de lycée. A l'époque il ne connaissait personne, mais il avait eu très vite fait de remarquer Otokoma. Toujours en baskets, avec ses habits un poil trop large pour lui et cette façon, insolente, de se tenir, de regarder autour de lui. Qui était-il ? Mariusu n'avait pas mis longtemps à connaître son nom. A peine arrivé au lycée, déjà marginalisé. Il circulait des rumeurs sur son mauvais caractère, son style vestimentaire... Mais finalement, que savait-on de lui ? Son nom et son prénom ? Les choses s'en étaient tenus là. Même l'année suivante, en classe de première, la situation n'avait pas évoluée. Otokoma restait un mystère, ou plutôt, un marginal. Pourtant, une chose avait changé : il avait été dans la classe de Mariusu.
A de très rares occasions, ils s'étaient adressé la parole. La voie, la prestance d'Otokoma avaient immédiatement impressionné le jeune homme. Cette manière d'être, sans gêne mais sans orgueil, Mariusu aurait aimé lui ressembler. Regarder les gens dans les yeux, oser leur dire en face, toute sa pensée, cela le fascinait. Beaucoup de personnes étaient agacées par Otokoma, par cette façon de ne jamais s'abaisser devant qui que ce soit, rester respectueux sans pour autant s'incliner. Aussi loin qu'il s'en souvienne, Mariusu n'avait jamais trouvé l'attitude de son camarade choquante pourtant. L'épier, guetter la moindre de ses réactions, de ses paroles, sans se faire prendre, était devenu comme un jeu pour lui. Oh ! Il aurait aimé aller lui parler ! Mais jamais il n'oserait.
Les jours se poursuivaient depuis cette ultime rentrée au lycée, et rien ne semblait prêt de changer du côté de Mariusu.
