Soleil levant - Tome 1 : Otokoma et Mariusu

Chapitre 3

     En récréation, plongé dans sa contemplation Mariusu se fige soudain. Non. Ce n'est pas possible. Il a sans doute rêvé ou plutôt... déliré. L'espace d'un instant, un bref instant, il a cru qu'Otokoma lui faisait un clin d'œil. Idée stupide, qui pourrait... Mais non ! Il n'a pas rêvé, le voilà qui recommence ! Cette fois, nulle doute possible. Mais ce petit signe lui est-il réellement adressé ? Tout le monde sait qu'Ichimoro est un sans-gêne. Alors se pourrait-il que... Pour camoufler son émotion, Mariusu baisse la tête et le regard. Pourtant il le voit, il le perçoit, se rapprocher de lui, avec cette démarche souple et assurée.

     « Ce soir à la sortie des cours, je t'attendrai. » Lui souffle-t-il sans préambule.

     Mariusu est tellement étonné qu'il ne parvient plus à articuler le moindre son. Otokoma est là... si proche.

     « Toi ne m'attend pas si tu n'as pas envie... » Poursuit Ichimoro à voix basse.

     Puis, aussi rapidement qu'il est venu, s'éloigne comme si de rien n'était, laissant Mariusu à ses réflexions. Mais le jeune lycéen est si impressionné qu'il lui faut plusieurs minutes pour réaliser ce qui vient de se passer. Comment peut-il se laisser aller à être aussi familier ? Il ne l'appelle même pas par son nom de famille !

     « Que me veut-il ? Se demande Mariusu. Pourquoi cet air si mystérieux, si... séducteur ? »

     Pourtant il ne trouve pas que le mystère donne du charme, c'est peut-être d'ailleurs ce qui le rebute le plus chez Otokoma. Mais ce regard chaud et sensuel, cette voix susurrante, affirmée mais pas autoritaire, le font fondre littéralement de désir. Si Otokoma n'était pas si secret, Mariusu n'aurait pas autant hésiter à l'attendre le soir. Otokoma fait peur, avec son look, son attitude... Il lui arrive de temps en temps de sécher les cours, de répondre aux professeurs quand les choses lui déplaisent. De nombreuses fois il s'est querellé avec d'autres lycéens, parfois plus âgés que lui, pour des raisons diverses et variées. Mariusu ne sait pas s'il doit se rapprocher d'Otokoma...

     « Salut ! Tu connais Ichimoro Otokoma ? »

     Mariusu se tourne vers la fille qui vient de lui poser la question.

     « Euuu... Oui ! On est dans la même classe.

     - Cool ! Tiens, prend mon numéro ! »

     Elle lui tend un bout de papier avec écrit soigneusement dessus un numéro de téléphone, puis s'en retourne en pouffant de rire vers son petit groupe d'amies qui l'attend impatiemment. Mariusu n'en revient pas. Alors il y a des filles qui s'intéressent à Otokoma ? Il ne peut s'empêcher de les comprendre... Mais que va-t-il faire de ce numéro ? Il ne connait même pas la fille en question ! Quelle drôle d'attitude.

     Pour ne pas paraitre impoli, il glisse le papier dans sa poche et se dirige vers la prochaine salle de cours. Il est le premier à arriver, comme d'habitude. Ses camarades le rejoignent sans lui parler, osant à peine lui jeter deux-trois regards. Mariusu leur adresse un sourire, mais ne peut s'empêcher de se trouver un peu ridicule, et ça se voit. Bon dernier, Otokoma arrive juste avant le professeur. Parmi la foule des élèves qui vont et viennent, Otokoma regarde calmement Mariusu jusqu'à ce que ce dernier se décide à croiser son regard. A ce moment-là, il lui adresse un clin d'œil, aussi vif que l'éclair. Mais c'est déjà trop pour Mariusu qui entre, rose comme une pivoine, s'asseoir au premier rang.

     Durant les heures qui suivent, Mariusu ne parvient plus à se sortir Otokoma de la tête. Assis au fond de la salle, ce dernier ne le quitte quasiment pas des yeux. Mille questions harcèlent le jeune lycéen : pourquoi agir de cette façon ? Otokoma est-il gay ? Mais pourquoi agir maintenant ? Pourquoi pas l'année d'avant ou une fois les examens de fin d'année passés ? Que lui veut-il exactement ? Car, finalement, c'est peut-être juste une façon particulière de se faire des amis ? Oui... ce doit être ça, il ne faut pas se faire de fausses idées... Mariusu décide d'observer davantage.

     Pendant l'interclasse, il se retrouve un peu isolé, à l'écart du groupe, rien d'anormal dans son cas. Dans le couloir, Otokoma vient s'adosser au mur, tout juste en face de lui. Les discussions vont bon train et personne ne leur prête attention. Mariusu se risque à relever les yeux vers son curieux camarade. La bouche entre-ouverte, Otokoma se passe lentement la langue sur la lèvre supérieure, tendre et charnue, son regard langoureux plongé dans celui de Mariusu. C'en est trop ! L'adolescent croit éclater de honte ! N'importe qui pourrait le voir ! Il lance de rapides coups d'œil paniqués autour de lui mais il semble être le seul à avoir remarqué la mimique de son voisin d'en face. Lorsqu'il se tourne à nouveau vers lui, Otokoma le considère d'un air amusé et attendri. Mais à quoi joue-t-il ? Mariusu a de moins en moins de doutes sur ses intentions.

     Cependant, il sent naître, ou plutôt s'enflammer, un brasier de désir pour son camarade. Le voir ainsi chercher à le troubler, à capter son attention d'une manière que lui seul semble percevoir, l'excite à un point qu'il n'aurait pas cru possible.

     La dernière heure de cours est un calvaire. Doit-il attendre Otokoma ? Doit-il accepter de lui parler ? Après tout il ne le connait pas. Et si c'était un piège ? Une astuce de manipulateur dans le seul et unique but d'abuser de sa naïveté, de son inexpérience, de son corps ! Mariusu ne voit pas ce qu'on pourrait lui trouver, mais justement ! S'en prendre à des proies en situation de faiblesse, seules et isolées, qui doutent d'elles-mêmes, c'est la technique de nombreux pervers ! Mariusu n'a aucune envie de servir de sex-toy à un camarade en manque ou désireux d'avoir une nouvelle expérience sexuelle. Il ne va pas sacrifier sa virginité et sa candeur de sentiment pour ça ! Mais, après tout, peut-être est-ce lui qui se fait de fausses idées ? Otokoma est-il simplement étrange ? Pourtant cette attitude n'avait rien de juste « amicale » et Mariusu préfère s'attendre au pire...

     Quand la sonnerie de fin des cours retenti, il a pris sa décision.