Il y a quelques temps, un formidable professeur de français m'a fait découvrir un exercice d'écriture qui m'a beaucoup plu : le lipogramme. Il s'agit d'écrire un texte en se privant simplement d'une lettre. Bien entendu, cela est plus ou moins contraignant selon la lettre, mais très intéressant pour travailler son style. Ce handicap force à utiliser des tournures de phrase spéciales, à chercher de nouveaux mots à utiliser, bref, à renouveler son écriture.
Je partage donc avec vous un texte que j'ai écrit avec cette contrainte, qui était en fait un devoir de français (oui je recycle mes vieux devoirs pour vous faire patienter sur les vrais projets, non je n'en ai pas honte :p). J'essayerai d'en faire d'autres alors si ça vous plaît, n'hésitez pas à me suggérer des lettres à retirer, voire un thème qui va avec. J'espère que vous apprécierez celui-ci, à vous de trouver la lettre manquante. Bonne lecture.
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Le soir tombe lorsque j'entre en mon véhicule. Les routes pour rentrer chez moi sont bouchées, comme toujours. Une idée me revient en tête. Un collègue prend souvent un détour forestier, c'est donc mon tour. Je tourne sur ce sentier étroit, et me glisse en ces bois.
Bientôt, le soleil plonge vers l'horizon et les ténèbres couvrent les lieux, en quelques minutes. Ici, le silence est profond, rien ne se meut. Le temps s'en trouve figé. Les troncs se dressent, détournent le chemin, forment de sinueux serpentements désordonnés, si bien que toutes les directions perdent leur sens. Le temps, les lieux se distordent. Les minutes deviennent heures, les mètres deviennent kilomètres.
Une immense brume tombe doucement sur moi, et trouble les silhouettes des êtres de bois. Ils sont si proches du sentier que leurs griffes viennent crisser sur mes vitres. Mes doigts se crispent de plus en plus sur le cercle de direction. Mon souffle tourne court. Quelque chose ne tourne point rond ici. Mon esprit s'est embrumé, tout comme ces lieux. Mes pensées se dissipent d'elles-mêmes. Les ombres et le silence mortel font surgir des formes, des spectres que je ne peux voir. Je les sens.
Tout près.
Ils infiltrent les plus petits interstices de mon enveloppe de fer et se glissent près de moi. Le froid occupe progressivement mon véhicule. Les gouttes de sueur qui perlent sur mon front se givrent. De mon souffle provient une légère fumée, celle des nuits d'hiver meurtrières.
Subitement, mes blocs optiques s'éteignent. Mon pied engourdi presse le frein. Le reste de mes membres ne répond pas. Le véhicule heurte un tronc et se stoppe net. Le choc est censé être violent, je crois. Je ne peux dire si je suis touché, si mes veines se vident, si mes os sont brisés ou même si je suis encore entier.
Je ne sens que les spectres glisser.
Ils s'enroulent le long de mon torse, de mes membres inertes, tels de longs serpents éthérés dont les gueules dévorent tout mouvement, toute énergie, toute vie. Les ombres elles-mêmes ne sont plus. Le monde s'effondre. Le trou noir où je suis tombé l'engloutit. Ne reste que le vide, le froid, un corps de pierre.

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Lipogrammes
Historia CortaQu'est-ce qu'un lipogramme ? Il s'agit simplement d'un texte dans lequel une lettre en particulier reste volontairement inutilisée. Devoir écrire avec ce handicap est un exercice d'écriture très enrichissant qui force à rechercher de nouvelles formu...