Chapitre 5

4.5K 387 28
                                    

Cette nuit-là, je fus à nouveau happée par les cauchemars : mon corps tourbillonnait, compressé et écrabouillé par les flots. Le courant me ballotait dans un sens puis dans l'autre, mes bras tendus vers une lumière inaccessible. La surface s'éloignait et le noir engloutissait toute trace d'espoir pour moi d'en réchapper.

Je me réveillai en sursaut, trempée de sueur, me retenant de hurler en plaquant une main sur ma bouche. Aucun bruit dans la maison, ma mère et mon frère ne m'avaient donc pas entendue. L'ambiance entre nous n'était pas au beau fixe et tout le monde était à cran. Jared avec le boulot, ma mère avec ses discours pour nous assurer que son travail à l'hôpital lui était bénéfique, et moi, désespérément renfrognée.

J'ouvris la fenêtre de ma chambre, qui donnait sur le jardin. En contrebas, Avon River se tenait calme et silencieuse en cette heure matinale.

Le cauchemar commença peu à peu à se dissiper. La noyade finirait un jour par n'être qu'un lointain souvenir.

Car dans ma malchance, j'avais eu un sacré coup de chance. Ma bonne étoile n'avait été autre qu'un sirénien et cette pensée un brin effrayante, m'apporta un certain réconfort.

Pendant la matinée de cours, il continuait d'occuper mes pensées et je faillis lâcher le morceau devant Tasha ou Bastien. Comment réussis-je à garder le secret de cette rencontre insolite ? Moi-même je ne le savais pas.

Pourtant, vers midi, le courage commença à me lâcher. J'étais saine et sauve, sur la terre ferme, voulais-je vraiment tenter le diable en me rendant à ce rendez-vous ? Voulais-je à tout prix tordre le cou aux légendes et oublier le danger que ces êtres aquatiques incarnaient ?

Je recommençais à avoir peur.

Il fallait que j'y aille, au nom de l'infime espoir qu'il respecte sa part du marché, et en priant pour rentrer chez moi en un seul morceau.

Et si j'avertissais ma mère ou Jared ? Impossible de trouver la formulation adéquate. « Au fait je suis à Cave Rock, si vous ne me voyez pas revenir dans deux heures, ça voudra dire qu'un sirénien m'a dévorée toute crue ».

Tant pis. Pour une fois j'allais m'en remettre au destin, et avec un peu de chance, ma bonne étoile ne me lâcherait pas.

*

C'était l'heure, et il était bien là au rendez-vous.

Dès le moment où je gravis le rocher puis m'avançai à l'endroit exact où nous nous étions quittés la veille, il émergea et posa ses mains sur la roche. Son fils resta en retrait sous l'eau.

Mes yeux se fixèrent sur ses mains palmées. Le mirage n'en était pas un.

Je m'approchai prudemment, en veillant à ne pas glisser ou me tordre une cheville. Le sirénien tenait, en évidence, plusieurs feuilles et tiges de myriophylle. J'aurais reconnu cette plante les yeux fermés.

Fébrile, je défis mon sac à dos et en sortis le bocal que j'avais apporté pour l'occasion. Je commençai à le remplir d'eau de mer et le sirénien, comprenant mon intention, glissa les plantes à l'intérieur. Il n'y avait pas de doute possible, il s'agissait bien de la plante que j'avais observée des heures et des heures – j'en aurais pleuré de joie.

Je refermai le bocal.

— Merci, dis-je d'une voix peu assurée.

Il comprit cela comme le signal que c'était à son tour d'obtenir son dû. Sa voix. Il s'approcha alors que j'étais restée accroupie.

Allais-je vraiment faire ça ?

— Est-ce que ça va faire mal ?

Il eut une seconde d'hésitation avant de secouer la tête.

Le SirénienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant