Evan et les hippogriffes

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Vous savez quoi ? En début d'année, j'étais content quand j'ai su qu'Harry Potter était dans la même classe que moi en Soin aux créatures magiques. Pas juste parce que j'aime le drama et que j'avais hâte de voir ce que ça allait donner, Harry et Drago dans la même classe – un peu pour ça tout de même, je veux bien l'avouer – mais surtout parce que j'étais curieux de découvrir le personnage. Tout le monde parle de lui et je n'avais jamais fait que l'entre-apercevoir, j'avais envie d'en savoir plus. En dépit de l'opinion populaire, tous les serpentards ne sont pas de sombres petits bâtards de merde ; personnellement, je pense être un mec relativement sympa et j'étais prêt à l'apprécier, s'il se révélait appréciable.

Bon, à vrai dire, ce qui m'enthousiasmait le plus dans ce cours de soin aux créatures magiques était moins la possibilité de côtoyer le fameux élu que les créatures magiques en elles-mêmes. J'ai toujours aimé les animaux, même ceux qui ne sont pas magiques, et mes deux préférés sont les tortues et les hippogriffes. Les deux n'ont rien à voir, c'est vrai, mais c'est comme ça. Je n'en parle pas beaucoup, parce que c'est un peu la honte apparemment, d'aimer les animaux quand on est un mec et de surcroît à Serpentard. Comme si pour avoir une quelconque crédibilité, il fallait que tout le monde soit bien sûr que l'on n'a pas de coeur. C'est idiot, franchement, mais je n'ai pas envie de passer pour un imbécile devant tout le dortoir alors je ne parle pas de mes passions – d'autant que mon autre passion, c'est le dessin. Pas très viril, ni très en accord avec les valeurs de ma maison où apparemment il faudrait juste se passionner pour la méchanceté gratuite et le fait de se sentir supérieur à tout le monde. Ce n'est pas mon cas, mais je n'ai pas envie d'être un paria dans ma propre salle commune alors je me joins aux discussion. Je suis bon menteur et je serais prêt à tout pour qu'on me respecte, c'est au moins une chose que je partage avec mes camarades. Alors je dis ma haine pour ce maudit Harry Potter, pour les Griffondors en général, et pour tous les autres tant qu'à faire. Rien de mieux, pour créer des liens entre membres d'une même maison, que de haïr collectivement toutes les autres. Je m'en fiche complètement, au fond, des Griffondors et des autres, mais c'est plus facile comme ça. Plus facile en tout cas, que de me retrouver seul contre tous à défendre des gens dont je n'ai, encore une fois, pas grand-chose à foutre. Ils ne méritent sans doute pas une telle haine, mais ils ne valent pas non plus que je salisse ma réputation pour eux.

Mais ce n'est pas vraiment ce qui nous intéresse ici. Depuis hier, la rumeur dit que le premier cours de soin aux créatures magiques sera dédié aux hippogriffes. Tout le monde est un peu survolté par cette nouvelle parce que c'est classe, un hippogriffe, même quand on est pas un grand amateur d'animaux. Moi, je n'ose même pas y croire : je n'ai pas envie d'avoir de faux espoirs. J'ai déjà vu des hippogriffes de loin, mais je n'ai jamais pu en approcher un à moins d'une dizaine de mètres. J'ai lu tout ce que j'ai pu trouver sur eux, sur comment les traiter correctement, ne pas leur manquer de respect, et être apprécié d'eux. J'ai passé des heures à la bibliothèque à dévorer tous les livres de près ou de loin en rapport avec eux, pour être sûr de ne pas manquer ma chance si un jour j'en rencontrais un en vrai. Je pense qu'il n'y a personne à Poudlard qui soit aussi bien renseigné que moi sur les hippogriffes, pas même le garde-chasse. En me couchant, la veille du cours de Soin aux créatures, je me tourne et me retourne dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil. Il est bien possible que la rumeur ne soit qu'une rumeur, mais si c'est vrai je suis presque sûr que mon coeur pourrait exploser de joie.

Et, lorsqu'en arrivant au cours le lendemain j'aperçois au loin le troupeau d'hippogriffes, je me dis que mon coeur va peut-être bien réellement exploser. Ils sont si majestueux, si incroyablement beaux. Je n'en ai jamais vu autant, ni d'aussi près, et je me dis que si je pouvais ne serait-ce qu'en toucher un je serais heureux pour tout le reste de ma vie.

Hagrid demande s'il y a un volontaire pour montrer l'exemple, et je lève instinctivement la main. Une partie de mes camarades se foutent de moi, de mon enthousiasme, mais pour une fois je m'en moque complètement. Je ne vais pas renoncer à mon rêve pour quelques regards moqueurs. Le professeur, quant à lui, ne fait même pas attention à ma main levée. C'est comme si je n'étais pas là. Je me demande un instant si je ne suis pas mort pendant mon sommeil et devenu un fantôme – ils sont très transparents dans la lumière du jour – puis je comprends ce qui se passe réellement lorsque le demi-géant invite Harry à s'avancer vers l'hippogriffe qui se trouve devant nous. C'est donc ça, être dans la même classe qu'Harry Potter. Devenir transparent, inintéressant, peu importe ce que l'on a à dire. Moi, je n'ai même pas eu besoin de lire ce foutu livre plein de dents pour savoir comment se comporter avec un hippogriffe, comment être accepté par eux et ne pas les froisser. Mais tout le monde s'en fiche parce que Harry est riche, célèbre, aimé de tous, et qu'il n'a pas besoin de savoir quoi que ce soit sur les créatures en question pour que même elles l'acceptent immédiatement. Je me prends même à en vouloir à l'hippogriffe tandis que le binoclard monte sur son dos, l'air tout content de lui, et qu'ils s'envolent. Ce sont des animaux intelligents, ils auraient du savoir, ils auraient du me choisir moi. Ils auraient du ignorer cet idiot d'Harry et venir vers moi, qui les connais et les respecte.

Ce n'est pas fini, cependant : quand Harry est enfin redescendu de sa petite balade, c'est à notre tour. Nous, la plèbe, allons enfin avoir l'occasion d'approcher de plus près ces nobles créatures qui me fascinent depuis des années. Ma colère se dissipe, parce que même si je préférerais avoir été le premier, je vais au moins pouvoir vivre ce moment dont j'ai tant rêvé. Enfin, disons que j'aurais pu. Si, avant même que j'aie eu le temps de saluer l'animal qui m'avait été attribué, Drago n'avait pas eu la merveilleuse idée d'énerver suffisamment le sien pour qu'il lui éclate le bras. Bien sûr, Drago n'étant que légèrement en dessous sur l'échelle des privilèges par rapport à Harry, cours annulé. Pas d'hippogriffes pour nous.

Si je n'étais pas si fier, j'aurais pleuré là, devant tout le monde. Mais j'attends, j'attends que les cours et la journée soient fini, pour aller le faire en cachette dans les toilettes. Personne ne doit savoir que ça m'importe autant, parce que personne ne me verrait plus de la même façon. Et moi, après les événements d'aujourd'hui, je ne verrais sans doute plus d'hippogriffes avant un certain temps ; alors, pas question que je perde ma réputation en même temps qu'un de mes rêves les plus chers.

Dans la salle commune, le soir tout le monde parle de ce qui s'est produit un peu plus tôt. Si je ne peux pas, par peur de me mettre les autres membres de ma maison à dos, critiquer ouvertement l'attitude de Drago, je n'en pense pas moins. En ce qui concerne Harry, en revanche, c'est la première fois en trois ans que la haine que je déverse contre lui n'est pas feinte. Va bien te faire foutre, Harry Potter.

NIQUE HARRY POTTEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant