Dix ans plus tard

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Julia avait du mal à émerger, sortir de son lit était une épreuve, particulièrement aujourd'hui. C'était son anniversaire, le jour de ses vingt ans et elle avait rendez-vous avec le notaire et sa sœur à la première heure... De son côté, Eline était bien réveillée, il ne lui restait plus qu'à prendre son petit-déjeuner. Les deux sœurs ne se parlaient plus depuis des années. A vrai dire, après l'incendie de la grange, leur relation s'était fortement détériorée et la suite des évènements n'avait pas amélioré les choses. Leurs parents avaient trouvé la mort le lendemain dans un tragique accident de voiture. Julia s'en voulait depuis ce jour et Eline, la tenant pour responsable, avait préféré couper les ponts. Éduqué par leurs grands-parents, Eline avait décidé de quitter leur chambre commune et d'investir l'aile ouest de la propriété. Elle était si grande, qu'il pouvait se passer des semaines sans qu'elles ne se croisent.
Eline et Julia partirent chacunes de leur côté, dans leur voiture respective avec leur chauffeur respectif.
Arrivées devant le bureau du notaire, s'ensuit une bataille pour savoir qui entrerait la première, qui prendrait l'ascenseur, qui s'assiérait sur quelle chaise, etc.
Le notaire remis aux jeunes femmes une pile de paperasse à signer, et procéda à la lecture du testament. Il y figurait que toutes les deux hériteraient des biens familiaux le jour de leur vingtième anniversaire. Et ce jour était arrivé. Eline et Julia signèrent tous les documents nécessaires, sans jamais s'adresser la parole ni s'échanger un regard. Cependant, une clause dans le testament de Monsieur Voss mentionnait que les deux héritiers devaient être en bonne entente s'ils souhaitaient bénéficier de leur héritage. Et Monsieur Vernon, le notaire, avait le sentiment que cette clause n'était pas respectée. Aussi, il interrompit Eline et Julia pour s'éclipser un instant, farfouilla dans un carton, avant de revenir une boite en bois vernis entre les mains.
Cela faisait dix ans qu'Eline et Julia n'avaient pas revu cette boite. Un vestige du passé, qui leur paraissait irréel. Elles s'étaient efforcées d'oublier son existence et plus particulièrement l'existence de son contenu. Monsieur Vernon ouvrit la boite, la déposa sur le bureau et quitta la pièce, laissant l'occasion à ses clientes d'avoir une conversation.
- Le livre et son encrier magique... souffla Eline.
Les yeux de Julia se remplirent de larmes.
-Je n'étais plus sûr que ces objets maudits existaient, répondit Julia.
Eline souffla dessus pour la débarrasser de la poussière accumulée au fil des années et comme ce fut le cas dix ans auparavant, un nuage de fumée apparut les faisant éternuer.
Le notaire lu ce qui était marqué au dos de celui ci :
- Vous avez atteint l'âge de la tradition. Vous avez donc vingt ans...
- C'était bien réel... Eline interropit le notaire, l'aire désemparée.
- Alors tout est de ma faute... s'accusa Julia. La chute dans les escaliers de Madame Pommesec, l'accident des parents...
Cela faisait dix longues années que la culpabilité rongeait Julia. Elle avait toujours pensé que ce qui était arrivé à ses parents était de sa faute. Elle, qui se pensait tellement plus intelligente que sa sœur, ce qu'elle avait pu être idiote de souhaiter ne plus vouloir de parents... A cause d'elle, ils étaient morts le lendemain. L'égoïsme dont elle avait fait preuve, en arriver à de tels extrêmes pour de petites remontrances... Depuis ce jour, elle avait envié ses camarades qui se faisaient disputer par leurs parents quand ils faisaient des bêtises, parce qu'eux au moins, ils avaient des parents...
Ni Eline, ni Julia n'avaient revu l'héritage de leur père depuis le soir de l'incendie. C'est Madame Pommesec qui l'avait trouvée sous le lit de Julia quelques jours après l'enterrement de Monsieur et Madame Voss. Connaissant son importance dans la famille, elle l'avait récupérée sans rien dire aux enfants - ce n'était pas le moment de les disputer pour le vol du parchemin - et l'avait rangée à sa place.
-Il ne sert à rien de vous blâmer pour ce qui est arrivé il y a dix ans... Le passé appartient au passé... Vous étiez jeunes, vous avez fait des erreurs. C'est pour cette raison que les vœux d'héritage ne reviennent aux descendants de la famille Voss qu'à leur vingtième anniversaire. Le temps nécessaire à la maturité.
Le notaire soupira en remarquant la tristesse et le regret dans leurs yeux.
-Ah, si seulement il y avait un moyen de tout effacer... marmonna-t-il. Enfin. Bon, ce n'est pas tout, mais il vous reste un vœu chacune. Alors, je vous écoute. Que désirez-vous plus que tout au monde ?
Eline refusa d'utiliser son dernier vœu, pour elle cet objet sensé être magique ne lui avaient apportés que des malheurs...
Julia regrettait la manière dont elle avait utilisé ses deux premiers vœux et ne voulait pas reproduire les mêmes erreurs. Elle renifla et renonça aussi à son dernier vœu.
-J'aimerais tellement que tout ceci ne soit qu'un mauvais rêve... J'aimerais que l'on puisse se réveiller dans nos lits d'enfants et que rien ne soit arrivé... Mais je sais bien que ce n'est pas possible... soupira Julia.
D'un léger coup de vent, la plume de l'encrier s'envola et celle-ci se laissa bercer au dessus du livre. Autonome, elle écrivit une phrase sous leurs anciens vœux...

DES VŒUX EN HÉRITAGE [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant