Chapitre 3. Eden

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Eden

Je me fais sermonner depuis au moins dix minutes par ma génitrice pour avoir mis un pain dans la mâchoire de Jessica, une fille du lycée qui n'est bonne qu'à mâcher ses chewing-gums et ouvrir la bouche, mais qui, malheureusement, bénéficie aussi du statut de bourge de son père, un client de mon père à moi.

Te rends-tu compte de la situation, jeune fille?demande ma mère d'une voix dure. Et ne t'avise même pas de lever les yeux au ciel!

Trop tard.

Et si je me rends compte de la situation? Bien-sûr, je vais rater les cours pendant trois jours pour m'être faite exclue. Buller sur son lit toute la sainte journée avec des clopes et de l'alcool, vraiment, quelle punition.

– Et quand aurais-je le droit de retourner sur les bancs de l'école, maman?

Je ne l'appelle jamais maman. Je déteste me dire que j'ai des liens de sang avec une femme qui pense que s'occuper de son mari et de la maison est le seul travail qu'une femme devrait exercer, qui s'offusque de la moindre chose et qui est plus froide qu'un iceberg.

Ma mère souffle avec exagération, épuisée de ma personne. Elle se frotte le front avec le dos de la main. J'ai essayé pendant longtemps de rentrer dans ce rôle de petite fille pourrie-gâtée, mais j'aime la liberté et je ne peux pas me contraindre à la soumission simplement parce que quelqu'un a dit un jour que c'était une bonne chose. Je ne veux pas forcément tout remettre en question, juste pouvoir être libre de mes choix et décisions, sans avoir à demander l'accord d'une tierce personne.

Jessica n'avait qu'à pas m'insulter encore.

Son père dit que tu l'as attaquée, Eden.

Elle l'a cherchée, j'ajoute.

Le fait que ma mère et moi nous détestions fait que je ne peux pas lui dire que cette fois-ci, Jessica s'en est prise à elle, et que je lui ai envoyé un coup de poing seulement pour la faire taire.

Ma mère continue ses mimiques de femme indignée et dépassée par sa propre fille, puis marmonne quelque chose:

Comment ma fille a-t-elle pu devenir une telle sauvage...?

Tout de suite les grands mots. Je roule les yeux au ciel.

Je n'ai jamais été sa petite fille, c'est ce qu'elle ne comprend pas. J'aimerais juste qu'elle arrête ses jérémiades, parce que le monde est concerné par bien plus de problèmes que le visage défiguré de Jessica qui peut se payer une nouvelle plastique dès qu'elle le souhaite.

Puis je crois bien que Jessica m'a brisé les tympans à hurler comme ça. Elle n'est pas morte non plus... Puis quand ses acolytes sont arrivés, elle m'a appelée Eddie, et j'ai bien failli la reprendre («C'est Eden, péta...»), mais je me suis rapidement tue en croisant son regard fulminant de rage. Cette fille pouvait vraiment faire peur.

J'ai eu énormément d'algarades avec ma mère, pour des raisons toutes plus débiles les unes que les autres, et j'imagine bien que tout ça peut me faire passer pour une petite collégienne qui n'a que comme problèmes dans la Vie un vernis à ongle écaillé.

Seulement, voilà ce que je crois: nous sommes des adolescents.

Nous allons à l'école pour apprendre et gagner en maturité. Il est important d'affronter les épreuves de la vie parce que c'est ce qui nous forge. Nous n'avons même pas dix-huit ans, et encore à cet âge, nous avons le droit d'être capricieux et d'en faire des tonnes pour rien, parce que nous ne sommes pas des adultes. Nous ne savons pas toujours de quelle manière réagir dans telle ou telle situation. Et c'est normal. Alors bien-sûr, il m'arrive d'être détestable à souhait et de faire des caprices dignes d'une gamine de cinq ans. Et je ne devrais pas me sentir nulle dans ces moments-là parce que je me comporte comme une enfant alors qu'en réalité, je suis une enfant. Nous ne sommes pas au bout de notre long périple sur Terre, et nous avons tout le temps de devenir un adulte et une personne responsable. Mais avant ça, soyons juste nous sans se prendre la tête parce que l'on devrait être plus mature ou quoi que ce soit.

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