— Je vais lui parler, décréta soudainement Éléa d'une voix tremblante en se levant. Je dois lui parler.
— Laisse le tranquille, veux-tu ?
— Non. Je... je vais lui raconter ma propre définition de la peur, car je pense qu'elle vaut la sienne. Loís, dis un seul mot à mon sujet et tu es mort. Diane, si Loís dit quelque chose à mon sujet, je te charge de le tuer.
Le plus effrayant était qu'elle ne semblait pas plaisanter.
— Je ne pense pas qu'il ait très envie d'être contredit alors qu'il vient de nous parler de l'enfer qu'il a vécu, dis-je doucement.
— Ah, ça, je ne vais sûrement pas le contredire. Mais j'ai besoin de lui parler. Je me rend compte qu'il a le droit de connaître mon histoire.
— Tu es sûre... ? fit Diane.
Pourquoi n'avait-elle pas dit son prénom ? Cela me perturba. Il y avait quelque chose de bizarre. Éléa était exécrable, Clara joviale. Alors, qui était-elle, en ce moment ?
Elle croisa brièvement mon regard mais se reconcentra sur sa sœur.
— Je suis moi, me dit-elle. Et oui, Diane, je suis sûre. Il a le droit de savoir qui je suis. Je pense... que ce serait une bonne chose.
Sans un mot de plus, elle sortit et partit du même côté que Carl.
— En fait, commença Loís, elle-
Il fut stoppé par le couteau qui se posa contre sa gorge. On lâcha tous un cri de surprise en criant à Diane de reculer, mais elle n'en fit rien.
— Pas un seul mot, petit frère. Tu sais très bien que je n'hésiterais pas une seule seconde dans le cas contraire.
— Je sais, je plaisantais, dit-il en levant les mains en geste de paix.
Devant nos regards choqués, Diane rangea son arme dans sa botte et dit :
— Quoi ? Le secret de notre sœur est bien gardé, j'y veille personnellement. Elle me fait confiance et elle a raison.
Je clignai plusieurs fois des yeux. Diane, la douce Diane, capable de tuer son frère pour emporter le secret de leur sœur jusque dans leur tombe ? Mais que cachait Clara, par les rois ?!
Les quelques secondes de silence qui suivirent nous permirent de nous remémorer le discours de Carl, nous faisant replonger dans notre culpabilité.
— Nous sommes horribles de l'avoir poussé à nous révéler tout ça à cause de notre insouciance, souffla Dylan.
— On devrait peut-être aller le voir ?
— Tatatata, me fit Diane. Pas tant qu'il est avec... ma sœur. J'ai le pressentiment qu'ils vont très bien s'entendre, maintenant.
— Pourquoi ?
Devant le regard perplexe de Diane, j'ajoutai :
— Je veux dire, ils n'ont rien en commun, si ?
— Plus que tu ne pourrais le croire. En tout cas, ils ont tous deux étés brisés par le passé et en ont gardé des séquelles irréversibles.
— De quelles séquelles parles-tu ? s'enquit Anniah, pour ne pas rester silencieuse et donc en proie à la culpabilité.
— Carl va garder un certain traumatisme, une certaine crainte du monde qui l'entoure. Ma soeur, elle, et bien... je crois que nous voyons de quel problème je parle.
Moi, en tout cas, je pensais immédiatement à son trouble dissociatif de l'identité, la faisant osciller entre Clara et Éléa.
— Tu en parles comme si tu étais au-dessus de tout ça, s'agaça Loís.
— Je ne fais que constater ce qui est constatable, se défendit-elle. Je me sens très mal suite au discours de Carl, mais je ne vais pas abandonner l'espoir de vaincre les Scriruslèmiens pour autant.
Elle avait certainement raison, mais nous n'étions pas tous si optimistes de nature qu'elle.
— Quand penses-tu que ta soeur aura fini de parler à Carl ? s'enquit mon père. Je dois également lui parler.
— Je dirais qu'ils leur faut encore moins d'une minute, le temps de revenir. Ma soeur a toujours exprimé ses sentiments sans perdre de temps en explications inutiles.
Éléa, exprimer ses sentiments ? Pas celle que je connaissais, en tout cas.
Les deux rentrèrent dans la salle au moment où Diane finit sa phrase. Ils avaient tous deux visiblement beaucoup pleuré.
— Je... je suis désolé, s'excusa Carl d'une voix tremblante. Je ne voulais pas être si direct envers vous.
— Ne t'excuses pas, grand frère, lui dis-je en lui prenant la main pour le faire asseoir à côté de moi. Tu nous a bien remis les idées en places, on en avait besoin.
Il me sourit tristement. Je lui rendis son sourire.
— Lucie ? Je veux te montrer quelque chose. Viens.
Je me retournais vers... Éléa ? Clara ? en fronçant les sourcils. Elle ne m'avait quasiment jamais parlé en quatre ans.
Je la suivis néanmoins dans le couloir. Elle me tendit la main. Hésitante, je plaçais la mienne dans la sienne.
— Ne parle à personne de ce que je vais te montrer, sauf à Erwan, Misa, Diane où Loís, sinon ma sœur te réglera ton compte.
Je hochais la tête pour lui montrer que j'avais compris.
Je sortis de la salle à manger et pris le même chemin que Carl, il y a quelques secondes. Je m'arrêtai un court instant, puis repris ma marche. Ce garçon avait vécu des choses qui m'avaient rappelé qui j'étais. Je savais que mon self-contrôle ne durerait pas très longtemps, je devais en profiter.
Je finis par trouver l'ex-esclave dans les jardins de ce château, assis au pied d'un arbre, la tête entre les mains. Il pleurait doucement.
— Je sais ce qu'est la peur, moi aussi, lui dis-je en m'asseyant à côté de lui.
Il releva la tête vers moi.
— La peur, c'est aussi de ne jamais savoir ce qu'il va se passer, tout en sachant que cela ne sera jamais bon pour nous. C'est de savoir que tout ce à quoi on tient est en danger si l'on n'agit pas exactement comme le souhaitent nos geôliers, alors qu'ils ne sont jamais satisfaits de la façon dont on agit.
Carl hocha la tête après une brève hésitation, séchant ses larmes d'un revers de la main.
— C'est aussi de ne pas savoir pourquoi nos geôliers sont en colère contre nous, mais de savoir...
— ... qu'on va en subir les conséquences.
Nous avions parlé exactement en même temps.
— Qui... qui es-tu ? demanda l'ancien captif.
— Je peux être Clara, je peux être Éléa. Ou alors Irène, ou encore Claire.
— Mais qui es-tu vraiment ? redemanda-t-il avec plus de conviction.
— Inès, répondis-je après une longue hésitation. Je m'appelle... Inès.
Je regardais Inès droit dans les yeux avec étonnement. Plusieurs choses me vinrent à l'esprit. Premièrement, j'étais en partie satisfaite de connaître son don particulier. Deuxièmement, qui étaient Irène et Claire ? Quelles facettes d'Inès représentaient-elles ? Et enfin, pourquoi me montrer ça, à moi ?
— Si je te le montre, c'est car je sais que tu finiras par connaître toute la vérité sur moi, donc je préfère commencer par te donner les bases.
Je hochai la tête, reconnaissante.
Mais je me sentais quand même mal. Carl souffrait, Inès souffrait, des milliers d'autres gens souffraient, mais je ne pouvais rien y faire.
Je me sentis terriblement inutile.
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Gayleri : les prisonniers des Ailés - 2 [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]
Fantasia⚔ Tome 2 ⚔ Les masques tombent, la tension monte. Une fois quatorze des quinze descendants de la prophétie mis en sécurité, les princes et princesses de Gayleri sont pris au dépourvu par une attaque des Ailés, qui réussissent tant bien que mal à les...