Du sang...

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CHAPITRE 11 – Du sang...

Raoul s'approcha et, dédaignant Brégeac, il dit d'un ton paisible au commissaire :

– La vie semble très compliquée parce que nous ne la voyons jamais que par bribes, par éclairs inattendus. Il en est ainsi de cette affaire du rapide. C'est embrouillé comme un roman-feuilleton. Les faits éclatent au hasard, stupidement, comme des pétards qui n'exploseraient pas dans l'ordre où on les a disposés. Mais qu'un esprit lucide les remette à leur place, tout devient logique, simple, harmonieux, naturel comme une page d'histoire. C'est cette page d'histoire que je viens de te lire, Marescal. Tu connais maintenant l'aventure et tu sais qu'Aurélie d'Asteux est innocente. Laisse-la s'en aller.

Marescal haussa les épaules.

– Non.

– Ne t'entête pas ; Marescal. Tu vois, je ne plaisante plus, je ne me moque plus. Je te demande simplement de reconnaître ton erreur.

– Mon erreur ?

– Certes, puisqu'elle n'a pas tué, puisqu'elle ne fut point complice, mais victime.

Le commissaire ricana :

– Si elle n'a pas tué, pourquoi a-t-elle fui ? De Guillaume, j'admets la fuite. Mais elle ? Qu'y gagnait-elle ? Et pourquoi, depuis, n'a-t-elle rien dit ? À part quelques plaintes au début, lorsqu'elle supplie les gendarmes :

« Je veux parler au juge, je veux lui raconter... » À part cela, le silence.

– Un bon point, Marescal, avoua Raoul. L'objection est sérieuse. Moi aussi, ce silence m'a souvent déconcerté, ce silence opiniâtre dont elle ne s'est jamais départie, même avec moi, qui la secourais, et qu'un aveu eût puissamment aidé dans mes recherches. Mais ses lèvres demeurèrent closes. Et c'est ici seulement, dans cette maison, que j'ai résolu le problème. Qu'elle me pardonne si j'ai fouillé ses tiroirs, durant sa maladie. Il le fallait. Marescal, lis cette phrase, parmi les instructions que sa mère mourante, et qui ne se faisait pas d'illusions sur Brégeac, lui a laissées : « Aurélie, quoi qu'il arrive, et quelle que soit la conduite de ton beau-père, ne l'accuse jamais. Défends-le, même si tu dois souffrir par lui, même s'il est coupable. J'ai porté son nom. »

Marescal protesta :

– Mais elle l'ignorait, le crime de Brégeac ! Et l'aurait-elle su, que ce crime n'a pas de rapports avec l'attaque du rapide. Brégeac ne pouvait donc pas y être mêlé !

– Si.

– Par qui ?

– Par Jodot...

– Qui le prouve ?

– Les confidences que m'a faites la mère de Guillaume, la veuve Ancivel que j'ai retrouvée à Paris, où elle demeure, et à qui j'ai payé fort cher une déclaration écrite de tout ce qu'elle sait du passé et du présent. Or son fils lui a dit que dans le compartiment du rapide, face à mademoiselle, près des deux frères morts, et son masque étant arraché, Jodot a juré, le poing tendu :

« Si tu souffles mot de l'affaire, Aurélie, si tu parles de moi, si je suis arrêté, je raconte le crime d'autrefois. C'est Brégeac qui a tué ton grand-père d'Asteux. C'est cette menace, répétée depuis à Nice, qui a bouleversé Aurélie d'Asteux et l'a réduite au silence. Ai-je dit l'exacte vérité, mademoiselle ? »

Elle murmura :

– L'exacte vérité.

– Donc, tu le vois, Marescal, l'objection tombe. Le silence de la victime, ce silence qui te laissait des soupçons, est au contraire une preuve en sa faveur. Pour la seconde fois, je te demande de la laisser partir.

La Demoiselle aux yeux verts  (COMPLETE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant