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Une cigarette allumée entre les lèvres, j'inspire profondément cette fumée qui m'enivre et me procure une délivrance exquise. Je déteste fumer cette merde, bien que ce ne soit pas pire que de fumer un joint, mais c'est comme si j'étais irrémédiablement attirée par elle. Parfois je succombe, parce que l'envie est bien trop forte pour que je puisse la contrôler. Plus aucune résistance, plus aucune force mentale, je suis guidée par mes désirs et ma dépendance, qui m'ont volé ma liberté d'action.
Vulnérable, c'est ce que je suis.
Il existe des tas de moyens pour se sortir d'un gouffre, mais comme à la suite d'une mauvaise rééducation, mes membres ne sont plus capables de me hisser vers la lumière, et mon cerveau a fermé les volets.
Je suis tellement loin.
Je fixe le morceau de papier que je tiens dans ma main droite. Il est tâché de larmes, de sang, de mascara, il est parfaitement illisible. Pourtant, l'ayant lu tellement de fois, je me souviens de chaque mot qui s'y trouve, et sans cesse je le fixe, pour tenter de cracher mes démons dont le pouvoir n'est sur moi que trop fort.
Cependant ils s'agrippent, et ne s'échappent jamais.
J'ai mal à la gorge.
11/02/2012 – Séraphine, mon amour,
Je ne sais pas si cette lettre te parviendra, mais je ferais tout pour que ce soit le cas.
Ce soir, papa m'a frappé très fort. Il m'a jeté contre le placard en bois et je suis restée étourdie pendant plusieurs minutes, alors que son poing ne cessait de matraquer mes flancs et mon visage. Je ne voyais pas mes bleus, mais je les sentais détruire ma peau au fur et à mesure que les coups m'étaient assénés.
J'aurais pu supporter cette atrocité, je l'ai toujours fait, tu le sais. Je ne te l'ai jamais dit mais je suis convaincue que ton intelligence t'a été suffisante pour comprendre qu'ici, rien ne tourne rond.
Pardonne-moi ma fille d'être restée silencieuse, pardonne-moi ma fille, pour tout.
Aujourd'hui, sa colère était plus noire que jamais, et il m'a planté une lame de couteau dans le foie. J'essaie de contenir l'hémorragie, je veux avoir le temps de t'écrire jusqu'à la fin. Mes mains sont tachées de sang, et il y en aura sûrement plusieurs gouttes sur cette page.
Oui ma chérie, je saigne. J'ai mal, horriblement mal mon cœur, mais je ne fais aucun bruit, on m'a toujours appris à taire ma douleur.
Le sang n'est rien, face à la détresse de l'âme.
J'ai si honte.
Quand cette lettre sera terminée, je la glisserai sous ma porte, pour la femme de chambre qui saura qu'il est nécessaire de te la donner, et je succomberais sûrement à cette fatalité. Ne dis rien, ne parle à personne de ces mots.
Ma fille, dès que tu peux, fuis cette famille, cet environnement malsain, moi je n'en ai jamais eu le courage, mais je sais que toi tu l'auras.
Tu n'es pas une Mathieu-Saint-Laurent, tu es une Steinhaus, ne l'oublie pas.
Mon existence s'efface peut-être, mais mon amour pour toi, lui, ne s'effacera jamais.
Maman.
Quand j'ai reçu cette lettre, j'avais 17 ans et déjà mes épaules étaient meurtries par les poids qui s'abattaient dessus depuis des années.
Mon père, ou plutôt mon géniteur, se nomme Edouard Mathieu-Saint-Laurent, fils d'Emile Mathieu-Saint Laurent, ce dernier frère d'Yves Mathieu-Saint-Laurent, le créateur, le couturier, enfin vous le connaissez.
Autant mon grand-oncle était un passionné, tout comme son frère, il ne vivait que pour son travail, il œuvrait dans son atelier jour et nuit, autant mon père n'était qu'un vénal, avare du moindre billet et poussé par un sentiment incorrigible d'avoir toujours et encore plus d'argent.
Surtout, ce n'était qu'un effroyable égoïste.
Au décès de mon grand-oncle, en 2008, ça a été l'anarchie la plus totale. Chacun avait ses parts de la firme, mais il y en avait un qui voulait tout et qui a foutu le bordel, et vous savez très bien de qui je veux parler sans même commencer à prononcer son prénom.
Je sais pas comment est mon géniteur à l'heure d'aujourd'hui, ni ce qu'il fait, ni où il est et à vrai dire je m'en cogne complètement. La presse pourrait peut-être m'aider à m'informer sur lui, à voir ce qu'il devient, mais je n'en ai pas envie.
J'achèterais un de ces magazines quand je me rendrais compte qu'il aura perdu son procès.
La justice lui colle au pantalon depuis des années, mais il ne se passe rien. Absolument rien. Le connaissant, il a dû payer le juge pour qu'il lui foute la paix.
Je savais que mon père frappait ma mère. Il fallait être débile ou bien aveugle pour ne pas s'en rendre compte. Je n'ai jamais parlé, et la culpabilité me ronge jusqu'aux os.
Moi, il ne me frappait pas, sauf que c'était tout comme.
Le sang n'est rien face à la détresse de l'âme.
Je me rappelle de son enterrement, des larmes de mon père qui paraissaient dépourvues de tout véritable sentiment, comme s'il attendait ça depuis longtemps. Il "pleurait" dans les bras de ma grand-mère, sa belle-mère, en adressant un clin d'œil victorieux à un de ses amis dont je ne connais même pas le nom.
Il était soulagé, il n'avait plus d'obstacles à sa future réussite.
Je le déteste si fort.
Il a détruit ma mère, sa vie, et la mienne avec.
J'écrase mon bâton de nicotine dans un cendrier posé à mon chevet et pousse un long soupir, comme pour chasser les mauvaises pensées qui fusent à l'intérieur de ma boîte crânienne.
Heureusement pour moi, le vibreur de mon téléphone portable me ramène à la réalité, ma réalité, qui est tout de même un peu moins rude contrairement à mon passé.
SMS de Mélina
Désolée il est tard (ou tôt, ça dépend du point de vue), je profite jamais des jours de repos pour dormir davantage et mieux.. bref, demain on se retrouve vers 20h ? J'ai des nouveaux pas de choré à te faire valider!
SMS à Mélina
M'en parles pas.. ça marche pour 20h, je serai là.
J'aime cette fille, sur talons aiguilles, qui se déhanche.
La chanson est carrément obsolète, mais cette phrase récurrente dans le morceau me représente parfaitement. J'apprécie cette version de moi-même, qui profite de l'instant présent, qui ne se prend pas la tête, puis surtout qui oublie... et qui oublie encore.
Au moment où l'oubli s'installe, je peux dire que je me sens enfin bien.
L'oubli est le plus puissant des anesthésiants, et la meilleure des thérapies.
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Apothéose inversée - KS
Fiksi PenggemarSéraphine Octavia Mathieu-Saint-Laurent. Sale prénom et nom de famille de gosse de fortunés, putain de célébrité. Non, appelez-moi Sera Steinhaus. J'ai effacé mon identité, enfermé derrière des barreaux de ferraille grise ces souvenirs qui m'ont éc...