Entre-deux

Balade

C'était dimanche. Et ce jour-là, comme chaque dimanche, Timothée Laporte se rendit à ce bar place Clichy et commanda un café noir. Dans l'ordre des choses, il le sirotait, sortait son journal et le lisait méticuleusement. Ensuite il commandait un second café qu'il buvait en regardant les clients du bar, les passants, puis payait et s'en allait. Et c'est ce qu'il fit ce jour-là. Au début, Il avait eu l’espoir de revoir Jean, et une fois le premier mois passé, la routine s’était installée. Il avait même invité une fois Marie à prendre un café avec lui. Finalement il avait trouvé désagréable de la voir dans ce paysage, il n'y eut pas de seconde fois.

C'était une journée de forte chaleur, le plein été. Timothée s'était réfugié à l'intérieur du bar, dans une tiédeur relative mais au moins à l'ombre. Les passants baissaient leurs têtes, tous devaient supporter le fardeau du soleil bien trop lumineux. Il n'avait pas l'envie de lire le journal, le spectacle de la rue était plus intéressant. La place Clichy était un endroit où les parisiens grouillaient, son regard avait toujours quelque chose à inspecter. Il regardait et penser aux jours prochains. Un nouveau venu dans son bureau administratif… Le travail qu'il n'avait pas encore fini… L'arrivée de sa grande tante chez ses parents qu'il devra venir saluer… La commande d'un livre qu'il devait chercher à la librairie en face de l’autre côté de la rue… D'ailleurs en regardant de loin, il y aperçut le dos d’un homme ressemblant à lui, brun, un peu décoiffé, qui fouillait les étagères de livres mises à disposition dehors. Timothée paya rapidement, ramassa ses affaires et se dirigea vers la librairie. Serait-ce lui ? Plus il se rapprochait, plus il en était certain.

Néanmoins, il s’arrêta quelques mètres avant de l’approcher directement. Jean semblait préparer quelque chose. Timothée le voyait regardait alternativement chaque livre devant ses yeux, les prendre un par un, les feuilleter, les remettre, tout en jetant des coups d’œil en direction de l’intérieur de la librairie. Timothée en fit de même et vit que quelqu’un était en train de s’adresser au propriétaire de la librairie. Timothée plissa des yeux, ce quelqu’un lui sembla étrange… Petit, fin, en habit d’homme un peu large, les cheveux rasés et une casquette sur la tête. Il crut à un jeune adolescent à qui on avait donné les habits du grand frère jusqu’à ce qu’il vit sa tête se tourner vers Jean, leurs regards se croisèrent. Son visage rond et sa bouche féminine fit douter Timothée de la pertinence de son analyse. Mais encore plus intrigant, il vit Jean tenir un livre plus longtemps que les autres… et le cacher sous son manteau. Un vol. Timothée était en train d’assister à un vol. Pas de réaction de la part de l’adolescent féminin, le propriétaire ne le vit pas, Jean pouvait s’en aller tranquillement et c’est ce qu’il était en train de faire. Timothée l’intercepta.

« Jean ! 

Il se précipita vers son camarade et lui tenu la manche. Jean sursauta, mais ne laissa pas décontenancer.

-Ah… Bonjour… Quel hasard que de se revoir…

-Oui en effet, une chance même !

-Oui… Mais malheureusement aujourd’hui je suis pris, alors…

Timothée se rapprocha de son camarade Jean, il attrapa et serra le col du manteau de Jean.

-Je vois votre manigance Jean…

Sa voix était tremblante, énervée, pourquoi avait-il une telle montée d’émotion négative en lui ? Il relâcha son emprise, le regarda un instant avant de se décider.   

-Donnez moi ce livre, je vais vous le payer. »

Jean resta de marbre, jeta un coup d’œil vers le propriétaire, celui-ci sembla toujours concentré dans sa discussion avec le petit. Il sortit le livre qu’il avait plaqué contre sa poitrine et le donna à Jean qui lui demanda de rester là où il était pendant qu’il allait le payer. Il alla à l’intérieur de la boutique. Il salua le libraire et demanda à payer ce qu’il avait dans les mains, un livre d’apprentissage des mathématiques pour les élèves en fin de collège. Il ainsi put s’apercevoir que la personne discutant avec le dirigeant était une jeune femme dans la vingtaine habillée tel un garçon, avec des cheveux étonnement courts. Timothée connaissait bien cette mode de la coiffure à la garçonne, mais il restait tout de même aux femmes quelques centimètres de cheveux à faire boucler, ici ce n’était même plus le cas. Elle regarda le livre qu’il avait dans les mains et plissa des yeux. Timothée devina qu’elle était en relation avec Jean, qu’elle détournait l’attention du libraire, et qu’actuellement elle savait que quelque chose avait bouleversé leur plan. Lorsqu’il sortit de la boutique, elle ne le suivit pas et Jean n’avait pas disparu. Il lui donna le livre.