Une vie tout en couleur

Routine

     Il faisait noir, la route était plongée dans un silence mortel. Après quelques minutes cependant, un bruit de moteur se fit entendre. Gabriel Isnard habitait isolé du reste du monde. Il aimait cette paix qui régnait autour de sa maison. Une seule route permettait d'accéder à sa propriété, c'est ce qui lui plaisait. Il était ainsi loin de son travail mais les longs trajets ne lui faisaient pas peur. L'hiver approchait, le froid s'emparait de lui. Chaque matin il s'empresser alors de rejoindre sa voiture dès qu'il passait le seuil de la porte. La route enneigée aurait pu en décourager plus d'un, mais Gabriel conduisait depuis longtemps, il était confiant quant à sa conduite. Non pas qu'il n'ait jamais eu d'accident, mais il a su prêter attention aux erreurs qu'il a pu faire, jamais cela n'arriverait de nouveau. 

     Gabriel alluma ses feux de voiture, et commença à avancer. Bien que le soleil n'avait pas encore pointé le bout de son nez, Gabriel n'était pas fatigué. Il s'était habitué à se lever tôt et même s'il lui avait fallut un temps d'adaptation, il se réveillait désormais par lui-même. La voiture avançait doucement sur ce petit chemin, elle n'était pas très stable sur cette route enneigée. Il y avait environ trois ou quatre kilomètres jusqu'à la première intersection et bien sûr il n'y avait pas d'éclairage aux alentours du sentier. Gabriel se concentrait, fixant la route au cas où si quelque chose surgissait de la forêt.

     Après avoir roulé durant environ un kilomètre, la voiture eu un soubresaut comme si elle avait percuté quelque chose. Gabriel freina subitement. Son cœur battait à tout rompre et semblait vouloir s'évader de sa poitrine. Sa respiration se fit rapide et saccadée.  Gabriel n'osait plus bouger, les mains crispées sur le volant, il était comme paralysé. Ce n'était pas possible, il avait bien fait attention, rien n'avait traversé la route. Après quelques minutes, il reprit enfin le contrôle de son corps. Il réajusta ses lunettes et ouvrit précipitamment la portière de sa porte. Il s'extirpa de son véhicule au plus vite et vint regarder ce qu'il avait bien pu percuter. Il fut surpris de constater qu'il n'y avait rien de plus que la neige et du gravier. Gabriel regarda aux alentours, mais il ne vit toujours rien. 

     Cependant, son corps se figea lorsqu'il aperçut l'arbre brisé. Le tronc avait été frappé par un éclair il y a des mois de cela. Un frisson se glissa le long de son dos. Ce n'était pas possible, il avait sûrement rêver de cette secousse. La preuve était là, il n'avait rien touché. Il se précipita dans sa voiture, claquant la portière à la volée. Il accéléra en trombe, oubliant toute règle de sécurité, omettant presque de remettre sa ceinture. Lui qui était devenu si prudent depuis ces accidents, la panique l'avait envahi et pris le contrôle de son corps. Tout ce qui comptait pour Gabriel en cet instant été de partir le plus loin possible de cet endroit. Malgré la froideur de la saison, des gouttes de sueur perlaient sur son front. Gabriel examina la route dans son rétroviseur. Toujours rien. C'est ça. Il l'avait sûrement imaginé, il devait être un peu fatigué finalement. 

  

     Les jours passaient, et les secousses continuaient encore et toujours au même endroit. Les trajets en voiture qui lui donnaient avant tout le temps de réfléchir et de penser à ses projets, étaient désormais de véritable moments d'angoisse. Malheureusement Gabriel ne pouvait pas s'arrêter de travailler! La voiture était son seul moyen de déplacement, aucun bus ne passait par là et même les taxis n'osaient pas s'aventurer sur cette route. Gabriel se réveillait désormais la boule au ventre. Il n'était pas du genre à croire aux événements paranormaux, il n'était pas superstitieux, cependant il avait beau réfléchir et chercher une explication rien ne lui venait. 

     Cela faisait maintenant près d'un mois que cette situation avait lieu quotidiennement. Gabriel n'en n'avait parlé à personne, bien que ses collègues de travail avaient bien remarquer qu'il semblait plus fatigué. Il ne dormait presque, les pensées envahissaient son esprit et les souvenirs hantaient ses nuits. Les cernes bleutés étaient visibles sous ses yeux, et ses joues creusées par l'angoisse. Devenait-il fou? Il en était certains pourtant, sa voiture touchait quelque chose. Chaque jours, il ne pouvait y échapper. Les secousses lui semblaient même chaque matin de plus en plus fortes. La ceinture de sécurité appuyé sur son torse et l'écraser avec la violence du choc. Il en avait chaque fois le souffle coupé. 

     

     Vendredi, enfin. Encore un petit jour avant le weekend, avant les vacances même. En effet, vu les signes flagrant de fatigue le patron avait imposé des vacances à Gabriel. Il avait toujours été fidèle à la société, et travaillait toujours du mieux qu'il pouvait. Gabriel mis quelque temps à accepter, mais il comprit que c'est ce qu'il y avait de mieux pour lui. Assis sur le siège conducteur de sa voiture, il inséra la clé dans la fente, la main tremblante. Le moteur vrombissait, il démarra alors.  La buée s'échappait d'entre ses lèvres gelés. L'air froid qu'il respirait le faisait tousser. Il avança prudemment sur la route mais Gabriel perdait le contrôle de la voiture. En effet le véhicule semblait accélérer de lui-même. Gabriel sentait sa gorge se nouer, ses jambes s'alourdissaient pendant que son cœur était sur le point d'exploser. Il s'approchait de plus en plus de l'endroit et la voiture ne cessait de gagner en vitesse. Impuissant, Gabriel ferma les yeux et serrer le volant de toute ses forces, s'enfonçant peu à peu dans son siège. 

     

     Soudain, la voiture se stoppa net. Les airbags écrasèrent le corps de Gabriel désormais inerte. A quelque mètres de là se trouvait l'arbre scindé en deux. A côté de celui-ci une forme brumeuse observait la scène. Une voix s'éleva plus loin:

- "Maman!"

     Une silhouette blanche s'approcha de la première. Le spectre tendit la main pour entourer ses doigts autour de ceux de sa fille en lui souriant. Son regard se dirigea à nouveau vers la scène. Fière d'elle, elle s'éloigna avec son enfant. En tant que mère, elle voulait pas que sa petite princesse voit cela. Quoi qu'il en soit, elle avait vengé son enfant. 

     

     Mourir n'avait pas était une grande souffrance pour elle, ne plus pouvoir voir sa fille en était une. Voir son unique enfant succomber à ses blessures suite à un grave accident de voiture était pire que tout. Elle avait quitté sa princesse beaucoup trop tôt, et bien qu'elle aimait son père, l'enfant réclamait toujours sa mère. De l'au-delà, elle veillait toujours sur elle. C'est ainsi qu'elle vu sa fille s'enfuir de chez elle en pleine nuit, partant à la recherche de sa mère. Elle aurait voulu lui crier de rester à la maison mais ses hurlements s'échappaient dans les airs. Elle avait suivit sa fille comme pour veiller sur elle, bien qu'elle n'aurait pu l'aider. Sa princesse était partie loin, très loin de la maison. Elle était arrivée dans une forêt, seule. La petite fille était effrayée mais elle ne retrouvait plus son chemin. Désorienté, tant dans l'espace que dans le temps, il était très tôt ce jour-là. Celui où sa petite princesse avait accouru sur la route sans faire attention. 

     Il n'y avait jamais personne sur cette route, il ne faisait donc jamais vraiment attention. Il n'avait alors pas eu le temps de s'arrêter avant de la toucher. Il était sous le choc, son visage était inexpressif. Il avait appelé les urgences mais c'est tout ce qu'il avait fait. Après quelque jours il avait repris une vie normale, il était vivant. La mère avait crié en voyant le corps de sa petite princesse sans vie. Bien qu'elle n'ait plus réellement de cœur, elle sentait une forte douleur piquer sa poitrine. Elle ne pensait pas qu'il était possible de souffrir en tant que fantôme. Sa petite princesse l'avait rejoint, et son meurtrier se retrouverait bientôt lui aussi dans ce monde si froid.