**✿❀ ❀✿**
Je regarde l'heure sur le micro-onde.
7h06
Les lattes de l'escalier grincent sous un pas sautillant que je reconnais facilement.
« Bonjour Maman ! » s'exclame Jane d'une voix chantante en entrant dans la cuisine.
Elle s'approche de moi et dépose un baiser sur ma joue. Ce petit geste d'affectation s'est immiscé dans notre routine matinale depuis qu'elle est revenue à la maison. Je ne m'en plains pas. Au contraire, je l'apprécie à sa juste valeur.
Jane balaye la table du regard, puis se dirige vers le frigo. Lorsqu'elle ouvre la porte, un morceau de plexiglas se détache d'une des étagères et tombe sur le sol à grand fracas.
« Merde ! Il est chiant ce truc à tomber tout le temps ! Ça me fait peur à chaque fois, râle ma fille en ramassant l'objet du crime.
– Moins fort ! murmuré-je en posant un doigt sur ma bouche.
– Pardon, Maman, mais faudrait peut-être penser à réparer ça une bonne fois pour toute, parce que cela devient usant à la longue... Le scotch ne colle plus rien, là !
– Je sais, je sais, temporisé-je tandis qu'elle tire la chaise en face de moi pour s'y asseoir. Ton père n'a pas encore eu le temps de regarder ça cette semaine. Ce week-end peut-être... »
Tout en hochant la tête, Jane déroule une serviette de table à carreaux rouges sur ses genoux. Comme tous les matins, elle avise l'ensemble de la table pour constituer mentalement son petit-déjeuner.
Satisfaite d'avoir contenté son agacement, je me décide à tremper mes lèvres dans mon café. Cependant, j'effleure à peine la marée noire que je me ravise en constatant la fumée qui s'en échappe. Je délaisse momentanément ce breuvage revigorant le temps qu'il refroidisse.
Robert dort encore, c'est pourquoi je m'échine à limiter le bruit superflu. Ses fichus horaires de nuit entrecoupent notre vie de famille et jettent de l'eau sur la flamme de notre couple.
Je ne l'ai pas entendu rentrer cette nuit. Enrobé par de timides rayons de lune, il se glisse toujours très discrètement dans la maison pour préserver le sommeil de notre famille. Un peu comme le ferait le marchand de sable ou le père Noël.
Il a enchainé les heures sup' ce mois-ci. À vrai dire, il ne s'arrête plus depuis son dernier entretien annuel. Soulignant son professionnalisme, ses supérieurs ont émis l'hypothèse d'une promotion. Robert se donne beaucoup de mal pour la décrocher et j'espère que les hommes en costard au dessus de lui sauront reconnaître la qualité de son travail. Encore quelques mois à ce rythme et la direction de son entreprise lui offrira normalement un poste à responsabilité avec des horaires un peu plus vivables.
J'envie son mental d'acier et sa santé de fer. À ses côtés, je me sens un peu plus courageuse chaque jour.
À ma demande, Jane me passe le beurre doux – une hérésie pour ma belle famille bretonne, mais peu m'importe – et la confiture. Je déballe mécaniquement la motte de son papier bleu et l'étale sur ma biscotte lorsque j'entends des petits chaussons qui chuchotent leurs secrets à notre vieil escalier.
VOUS LISEZ
Huîtres et verres polis
Historia CortaJane gratte des pages et des pages. Ou plutôt, elle pianote des heures et des heures sur son ordinateur dans l'espoir de dégoter son premier emploi. Anne-Eléanore passe sa blouse d'infirmière et s'arrête quelques secondes devant le miroir du vestia...