Chapitre 14 ❄ Colère impossible

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❄❄❄❄ Leyn ❄❄❄❄

Aujourd'hui, petite journée. Nous commencions à 10h seulement, pour finir à 15h le soir. Comme le ciel était dégagé, qu'il faisait beau et qu'il n'y avait pas beaucoup de vent, nous avions décidé d'y aller à vélo. Lie et Tommy devaient nous rejoindre ici même, devant l'immeuble, à 9h précises. Nous avions pris soin avant de demander à Erra si elle savait faire du vélo. Elle avait hésité, puis accepté de se joindre à nous. Je m'en étais réellement réjouit.

Hier, j'avais attendu toute la journée que Tommy se décide à me raconter. Mais il ne m'avait rien dit, pas même un mot, laissant planer le suspens. Jusqu'à ce que, ayant perdu tout espoir de l'entendre parler, me disant même qu'il avait oublié, que Lie ne lui avait rien dit... J'avais reçu un appel. Notre conversation tournait encore dans ma tête, essayant apparemment de me rendre fou.

"- Salut mec ! J't'ai fait attendre, j'parie. Alors, t'vas pas en croire tes oreilles.

- Allez, dis moi, et je t'en pris, arrête d'avaler tes "je" et tes "tu", je ne supporte pas.

- Bon, déjà, j'sais pas si tu sais, mais elle a quinze ans ta copine.

- Pourquoi "ma copine" ? Oui, je sais, et ?

- Et t'vas... Tu... vas avoir dix-sept ans dans un mois, toi.

- On s'en fiche de ça, dépêche toi et arrête de me faire attendre, qu'est ce que t'as appris ?

- Ouais ouais, j'y viens, du calme. Alors elle a posé pleins de questions sur toi à Lie. Mais genre vraiment beaucoup. Sur tes passions, tes hobbies, le sport que tu faisais, ta famille... Lie a pas voulu m'en dire plus mais elle l'a harcelée de questions sur toi, sans même essayer de le faire subtilement. J'crois qu'elle t'adore, Leyn. Tu devrais lui dire que toi aussi..."

Et puis j'avais bégayé un "merci" confus, et j'avais raccroché, éberlué, me faisant toutes sortes de films, pendant une bonne demi-heure. Jusqu'à ce que me revienne à l'esprit ces deux bouts de phrase sûrement pas innocents de Tommy: "ta copine" et "Elle t'adore [...] tu devrais lui dire que toi aussi". Il pensait vraiment qu'Erra me plaisait ? Si je voulais savoir tout cela, c'est parce qu'elle me paraissait bien étrange, cette fille tout droit venue d'Alaska, que je ne voyais jamais sur son portable, et qui n'avait pas de parents sur le territoire...

Mon téléphone vibra. Lie et Tommy étaient en bas. Je les rejoignis vite : j'étais prêt depuis une quinzaine de minutes. Erra descendit en même temps que moi. Je ne pus m'empêcher de tourner la tête vers elle, en espérant qu'elle ne me regarda pas. Mais ce fut le cas, et nos regards se croisèrent. À ce moment là, le temps de cligner des yeux, je me revis dans cet océan glacial, me noyer, dans ses yeux d'une immensité et d'une puissance à me donner le vertige. Elle me fixa alors, laissant paraître un "Est-ce que ça va ?" muet.

- Tout va bien... J'ai un peu mal à la tête, rien de grave.

Mais elle ne détacha pas pour autant son regard de moi. Elle me scrutait, attendant comme une explication de ma part. Puis elle détourna le regard, comme si elle avait trouvé dans mes yeux la réponse qu'elle cherchait.


❄❄❄❄ Erra ❄❄❄❄

Hier j'avais demandé à la lettre de me donner la faculté de savoir faire du vélo. Elle me l'avait donnée. Et puis surtout, j'avais appris beaucoup de chose sur Leyn, grâce à Lie. Peut-être ma démarche paraissait-elle plutôt insistante, mais je voulais en savoir le plus possible sur lui, pour trouver sa faiblesse, et, le moment venu, lui retirer sa vie et son énergie pour m'enfuir de cette planète immonde sur laquelle je devais veiller toute ma vie éternellement longue et infinie. Et puis ce matin, quelque chose de nouveau, d'insensé, de fou, quand j'avais croisé le regard de Leyn. Les battements de mon cœur s'étaient accélérés dans ma poitrine, créant un choc dans mon cerveau. Pourquoi ? Leyn s'était sentit mal pendant une dizaine de secondes, et j'avais cherché à savoir pourquoi. J'avais une faculté émotionnelle en handicap, autant m'en servir quand elle pouvait se révéler utile. Et ce fut le cas. En croisant mon regard, Leyn avait eu une sorte de flash, se voyant noyé dans un océan parsemé d'icebergs. Comme la première fois que nous nous étions vus. J'avais compris ce qui lui arrivait, n'en avait pas été étonnée: c'était le seul songe qu'il m'était donné d'avoir, et je savais que s'il on me regardait dans les yeux trop longtemps, on pouvait avoir ce genre de flash. Mais je ne savais pas que cela pouvait rester ancré dans le cerveau, comme une malédiction. Son esprit disait "pas encore !", il devait donc faire ce rêve chaque fois qu'il dormait ou qu'il me voyait. Et cela était merveilleux pour moi. La faiblesse parfaite. Mais il fallait que je l'apprivoise. Cela était moins facile.

Nous arrivâmes tous quatre devant le lycée, et Leyn accrocha mon vélo. Puis j'avançai avec les autres vers le centre du lycée. Mon téléphone vibra dans ma poche, et je sursautai. Derrière moi j'entendis un rire moqueur. Je me retournai.

- Eh bien, on sort tout droit du 18eme siècle ? On sait pas se servir d'un téléphone portable ? se moqua-t-il.

Je trouvais sa remarque sans intérêt, comme si il avait cherché toute la journée une raison de se moquer de quelqu'un. Ceci dit, c'était un peu vexant, mais je ne m'énervai pas pour autant. Je ne pouvais pas, pour mon plus grand embarras à ce moment là.

❝ Un gardien ne peut éprouver aucune colère à l'exception de celui du feu qui a fait de cette émotion sa faculté émotionnelle propre. Il ne peut ainsi se défendre verbalement, car il ne pensera en aucun cas ses propos ❞

Une idée me vint alors à l'esprit. Je ne pouvais pas me défendre car je n'étais pas en colère, mais je pouvais l'attaquer par pure méchanceté. Mais pas verbalement, cela n'aurait aucun sens. J'étais une gardienne de l'eau, j'avais un pouvoir dont je ne m'étais pas servi depuis le début de cette mission. C'était le bon moment pour en tester l'efficacité sur les humains.


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Fille de l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant