Chapitre 17 ❄ Jamais sans toi

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❄❄❄❄ Leyn ❄❄❄❄

Mes mains étaient posées sur ses yeux, et nous marchions ainsi doucement, pour ne pas qu'elle trébuche. J'avais tenu à lui faire une surprise, à laisser le mystère planer. Elle souriait, je le savais même si je ne pouvais pas la voir. Erra souriait toujours. Elle était lumineuse, enjouée, pour chaque seconde qui s'écoulait, comme si chaque jour était susceptible d'être le dernier.

Je n'avais pas parlé de cette petite escapade que je comptais faire à mes deux amis. Non, je savais bien ce qu'ils allaient me dire, cela ne servait à rien de recevoir des moqueries gratuites, bien que cela ne soit pas bien méchant.

J'arrivai enfin sur le lieu où j'avais eu (l'excellente) idée de l'emmener. Je retirai lentement mes mains de ses paupières pour ménager le suspens. Au fur et à mesure qu'elle découvrait le paysage dans lequel elle se trouvait, je sentais sous mes paumes ses yeux s'agrandir. Ses mains vinrent retirer délicatement les miennes, qui s'étaient stoppées au dessus de ses joues, espérant sûrement pouvoir y rester plus longtemps. Erra s'approcha de l'eau, s'y agenouilla. Une légère vague vint rafraichir ses jambes. Elle posa alors sa main droite sur l'eau, et ferma les yeux. Elle eut l'air de faire abstraction de tout ce qui l'entourait à cet instant précis, et, n'osant pas faire de bruit, je ralentis ma respiration sans m'en rendre compte. Ce moment était juste parfait. Pourvu qu'elle ait seulement daigné me regarder, me sourire, m'embrasser...

À la pensée de ce dernier mot, une honte soudaine m'envahit, comme si j'avais malencontreusement pu penser à voix haute. Mais Erra, à cet instant, ne pensait pas à moi. Mais moi, je pensais à elle sans aucune mesure, sans me contrôler, laissant tous mes désirs les plus chers prendre le dessus sur moi-même, quand je la voyais là, à genoux devant la mer.

Une dizaine de minutes passèrent ainsi, et Erra ne paraissait pas se rendre compte du temps qui s'écoulait. Puis, enfin, elle retira ses mains de la surface de l'eau, et s'assit. Je l'entendis soupirer et je m'assis à côté d'elle. On aurait dit qu'elle attendait quelqu'un, ou quelque chose, mais c'était peu probable, elle ne connaissait pas cet endroit paradisiaque, c'était mon petit secret à moi, et même mes amis n'étaient pas au courant que je m'y rendais tous les dimanches quand je le pouvais.

Puis, tout à coup, son visage s'illumina. Elle se redressa, et sans crier gare, courrut entre les vagues et se jeta toute habillée dans l'océan calme. Un aileron apparut à la surface, fonçant droit sur Erra. Je vis dans l'eau clair la créature. Impossible. Il n'y avait pas de telles espèces ici. Une orque... Un dauphin aurait été moins improbable, mais une orque, cet immense animal solitaire !

Tandis qu'Erra serrait contre elle l'animal, à une vingtaine de mètres seulement de là, je l'entendis murmurer "Allie".


❄❄❄❄ Erra ❄❄❄❄

Elle était là, oui, c'était bien elle, ma petite orque. Grâce à Leyn, j'avais pu revoir la seule chose à laquelle j'étais vraiment attachée, mon amie, mon Allie.

Leyn m'avait emmené dans un endroit merveilleux, coupé du monde. C'était une petite plage de sable fin, entourée d'arbres et de végétation. Un petit coin de paradis. Il m'avait guidée jusqu'à un ponton de bois abandonné, qui arrivait sur l'eau. Au bout le passage était incliné, en pente, et descendait dans la mer, comme une petite plage. Là nous pouvions voir l'océan à perte de vue, et la seule trace de terre était la minuscule plage derrière. Nous avions marché une bonne heure pour arriver dans ce coin perdu, inconnu du monde. Mais j'avais pu voir Allie. Je l'avais sentit dès que j'étais arrivée, elle était ici, sur cette planète, dans l'océan qui entourait ce pays. Mais je ne savais aucunement si mon appel allait porter ses fruits. Et, enfin, au bout d'une quinzaine de minutes, elle était arrivée. Je n'avais alors pas hésité une seule seconde à plonger pour nager avec elle. Il fallait que je remercie Leyn pour cela. Aujourd'hui même, car c'était sa dernière journée sur terre. Et, pour la première fois, cela m'attrista. Mais la joie intense que je ressentais grâce à la venue d'Allie effaçait amplement cette tristesse. Au bout d'une demi-heure à nager avec elle dans cette eau claire et calme, elle me fit signe qu'elle devait partir. Je remontai alors sur le ponton de bois, sentant l'air frais de l'hiver me caresser la peau. Je me rendis compte alors que j'étais mouillée, que j'étais censée avoir froid. Pour répondre au regard surpris de Leyn, je me concentrai pour simuler des frissons. Ce ne devait pas être bien complexe : j'étais résistante au froid, il ne m'atteignait même pas. Mais c'était parce que je ne souhaitais pas qu'il ne m'atteigne. Si je souhaitais avoir froid, peut-être pourrai-je paraître normale.

Des frissons me parcoururent le dos. J'avais réussi. Mais maintenant que je ressentais pour la première fois le froid, il fallait bien me réchauffer. Fort heureusement le soleil n'était pas encore couché, il pouvait vite sécher mes vêtements pour que je puisse à nouveau chasser le froid sans que personne ne s'en étonne. Mais Leyn n'attendit pas que je me congèle sur place. Il retira son lourd manteau et le posa sur mes épaules pour me réchauffer. Je lui souris en guise de remerciement. Leyn en profita pour me demander ce qu'il m'avait pris de sauter dans l'eau en plein hiver.

- J'adore les orques. J'en ai vu une au loin, alors je n'ai pas hésité, c'est une chance incroyable de pouvoir nager avec une orque, tu ne trouves pas ? Tu aurais du venir, d'ailleurs.

Leyn haussa les épaules.

- Il fait vraiment froid. C'était déjà merveilleux d'en voir une en liberté, d'aussi près. Je ne suis pas un expert en poissons, je préfère les oiseaux, mai je sais que ce n'est pas normal de voir une orque ici.

Je fis mine de ne pas relever cette remarque, et me mis plutôt à rire de l'énormité qu'il venait de dire.

- Ce ne sont pas des poissons, ce sont des mammifères, les orques.

- C'est dangereux ce que tu as fait, tu sais ?

Ce fut à mon tour de hausser les épaules. Leyn avait dit ça d'un air si sérieux, si grave. J'eus l'impression de compter pour quelqu'un. Qu'il n'avait pas envie que je ne meure, que je me blesse. Si seulement il connaissait mes intentions...

- La vie est faite de risques, soufflai-je. Si l'on vit sans se poser de questions, sans jamais faire de choses nouvelles, interdites, pourquoi alors vivre ?

Et, en m'approchant plus près de son visage, je murmurai :

- Vis comme si chaque jour était le dernier...


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Fille de l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant