9. Daphné et les films autobiograhiques.

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   SANS TROP de surprises, Estelle et Augustin s'étaient joints à nous. Le reste du groupe de la plage s'était réparti, chacun chez soi.

    "Fais pas de bêtises, lança Gene à Margot.

    - Tu seras conviée à ma fête d'avortement."

    Augustin ne put retenir un hoquet choqué mais Geneviève trouva ça hilarant.

    "Direction : la binouze ! s'exclama la brune en emportant son ami par le bras."

    Estelle et moi, sur le banc de touche, nous accordâmes un sourire cordial. Elle était toujours enveloppée de cet aura particulier, ce cocon de fer derrière lequel elle se cachait, cette apparence de façade.

    "Du coup, tu la connais comment, Gene ? demandais-je histoire de faire la conversation.

   - C'est une amie de Gus. Ils font du théâtre ensembles depuis...trois ans, je crois ?

    - Stylé, commentais-je."

     Autant j'avais du mal à voir le garçon sur les planches : il semblait très gentil mais ne dégageait ni l'assurance de Gene, ni quelque aisance à l'oral.

    "Et toi, tu fais pas de théâtre ? demandais-je en retour.

    - Non, c'est pas vraiment mon truc, rit-elle. Je faisais de la gym, mais j'ai arrêté. J'hésite à faire autre chose, l'année prochaine. Mais bon, le sport c'est pas trop mon truc, et j'ai vraiment la flemme de devoir me taper du solfège si je veux apprendre la musique.

    - Mon sport à moi, c'est la tournée des bars, confiais-je."

    Ce qui était à moitié vrai. Je refusais rarement une sortie, mais je n'étais pas de ceux qui proposaient, aussi ne sortais-je pas aussi souvent que j'aimais le prétendre.

    "Vous vous êtes bien trouvées avec Gene, alors, ricana Estelle."

    Sa remarque me refroidit. J'avais l'impression que tout l'univers essayait de me ramener à Gene et je ne savais pas quoi faire. Ca m'agaçait pas mal : j'aimais l'impression que je donnais, de cette amoureuse de la vie qui s'impliquait dans tout mais ne s'engageait dans rien. Je voulais être de ces oiseaux sauvages qui se laissaient porter par le vent, pas de ces gens aux rouages dans les neurones qui faisaient des sentiments une mécanique.

    Et pourtant, j'étais en train de me torturer les méninges.

    "Et avec moi aussi, ajouta-t-elle, voyant que sa remarque m'avait mise mal à l'aise."

    Elle ralentit le pas et continua, plus bas, sur le ton d'une confidence :

    "Gus boit pas vraiment, lui. Fin, ça lui arrive, mais je l'ai jamais vu bourré.

    - Finalement, voir les gens bourrés, c'est pas très intéressant. Soit on l'est aussi donc on s'en rend pas compte, soit on l'est pas et c'est chiant.

    - Voilà. Si on l'est pas, c'est chiant. J'ai pas envie d'être chiante."

    La brune jeta un regard vers son petit ami ; un voile d'ombre passa sur ses yeux bleus.

    "J'ai peur de le déranger, des fois, couina-t-elle faiblement, plus pour moi que pour elle.

    - S'il te le dit pas, t'as pas de raison de t'inquiéter, l'encourageais-je. Il a qu'à te le dire."

    Estelle marqua un temps de pause ; elle avait entendu, mais pas écouté. Mais elle m'adressa un sourire qui se voulait reconnaissant.

     Quelque chose m'inspirait, chez cette fille. J'avais l'impression que si nous étions ensembles, à Rouen, nous serions le type de duo insupportables, toujours à piailler ensembles, sécher ensembles, glousser ensembles. On confondrait nos noms, nos identités, on nous mêlerait l'une à l'autre si bien que nos vies seraient emmêlées comme des chaînes de colliers dans le fond d'une boîte à bijou.

D'amour et d'eau salée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant