Mes paupières s'ouvrent. Lentement. Difficilement. Elles découvrent un soleil matinal et déjà familier. Elles annoncent que, bientôt, mon dos découvrira que j'ai encore interverti tuiles et matelas. Je referme les paupières. Les presse les plus fort possible. Jusqu'à ce que mes muscles ne puissent plus accepter cet effort, et que mes nerfs envoient à mon cerveau l'information « j'ai mal ». Là, seulement là, la brume d'un sommeil encore trop présent se dissipe. Je me redresse. Tiens, Nin est plus là ? J'me souviens pas de l'avoir vue partir... Bah, j'ai du tomber de fatigue. J'entreprends une descente vers mon balcon, mais glisse. J'ai encore les yeux embués de larmes somnolentes qui m'empêchent de voir où je vais. De dévale le toit. Enfin je suis tellement molle qu'utiliser le terme dégouliner serait bien plus approprié. La fin tu toboggan s'approche, mais, petit problème, il donne dans le vide. Je me retourne en espérant que mes pieds s'accrocheront à la gouttière. Et qu'elle tiendra. Bancal, comme plan ? Nan... et puis franchement, vous feriez quoi à ma place, vous ? Hein ? Eh ben ? Ne pas dormir sur un toit ? Faire gaffe en descendant ? Aller au dessus de son balcon ? Hahaha... oui. Mais ! Mais... au dessus du balcon il n'y a ni endroit plat, ni cheminée pour mieux tenir. Encore plus bancal, hein. Je creuse, c'est ça ? Et je vais tomber, aussi. Accessoirement.Ah, tiens, c'est le moment fatidique où je vais pouvoir voir si une gouttière peut me sauver la vie ou non. Mes pieds glissent, et ce sont mes mains qui s'y agrippent fermement. Très fermement. J'ai l'impression que je vais faire craquer le métal. Les jointures de mes mains me font terriblement souffrir, mais je m'accroche à cette foutue gouttière. Un peu comme si ma vie en dépendait, en fait. ( ce qui est malheureusement le cas.) je sue à grosses gouttes. Mon cœur essaie désespérément de s'échapper de ce corps qui risque de s'aplatir BEAUCOUP TROP de mètres plus bas. J'essaie de calmer ma respiration, et localise mon balcon. Il est à 1 mètre de moi. Je me balance jusqu'à sa rambarde, mais ni elle ni moi ne tiendrons. Je suis sur son côté le plus fragile. Mes mains commencent à glisser, alors je combat du mieux que je peux la gravité et me déplace vers mon salut. Mais l'âge de la bâtisse me rattrape, et la gouttière elle aussi menace de céder. Plus qu'une solution: sauter. Je me balance encore quelques secondes en réfléchissant à la manière dont je vais sauver ma peau. Je doit être à 10 cm du balcon, qui lui devrait être à 2m de la gouttière. Heureusement que c'est bas de plafond ! Mes pieds s'alignent avec la plateforme, je ferme les yeux, et... mes mains glissent. J'ai dû trop me balancer. Je reste un instant en l'air, qui me paraît beaucoup trop long, et m'écrase, comme un oiseau poussé de son nid, sur la pierre dure et froide. Mes mains et mes genoux sont égratignés, mais c'est mieux s'une nuque brisée sur la terre du jardin.
Un sentiment d'euphorie l'envahit. J'ai survécu ! Je suis vivante !! JE SUIS VIVANTE !!! Je me relève, tremblante et nauséeuse, et crie:
- DANS TA GEULE LA FAUCHEUSE !
J'halète, et des volutes blanches s'échappent de mes lèvres, trop contentes d'être encore fonctionnelles. Et quelque chose sort. Un rire, je crois. Il s'élève du plus profond de mes entrailles jusqu'à ma gorge. Il fuit mon corps, comme un troupeau de buffles fuirait les lionnes. Une partie de lui s'empare de mon cerveau, annihilant toute pensée sensée, tout germe de réflexion. Il ne veut pas que je me rende compte. Que je me rende compte que ce n'était pas complètement un oubli. Que, certes, je n'ai pas fait exprès de glisser, mais que franchement, ça ne me dérangeait pas tellement de rejoindre ma mère. Mais ce rire ne peut empêcher les larmes de crocodile de couler lentement sur mes joues. Ni cette pensée primaire qui répète en boucle :
Dieu merci, j'ai survécu. Dieu merci, je vais vivre encore un peu. Dieu merci, je suis toujours ici.
Machinalement, je vais me préparer. Tee-shirt, pull, jean, chaussures, descendre, manger, dire bonjour à la personne dans la cuisine, se brosser les dents, se coiffer, prendre les clefs, partir. Je ne sais pas quelle heure il est, peut être 6, peut-être 10. Je ne sais pas ce que je fais, peut-être que je conduis, peut-être que j'écris. Les larmes ont sûrement arrêté de couler, et j'espère que le troupeau de rire a fini sa course.
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Nyctophillia
Ficção GeralC'est le seul endroit où je suis en sécurité. Vers trois heures du matin. Là haut, sur le toît.