Chapitre 2

11 0 0
                                    

Pierre Monnerville, professeur d'histoire-géographie expérimenté entra dans sa classe de Terminale, le sourire aux lèvres. Il connaissait plus ou moins tous les élèves de la classe de Terminale 2. La classe lui semblait dans l'ensemble prometteuse. Les yeux pétillants d'intelligence et de facétie, son entrée imposa progressivement le silence. Les élèves l'attendaient debout.

- Mais asseyez-vous chers élèves ! Je ne mérite pas tant d'honneur ! s'exclama -t-il en souriant. On verra si, à la fin du cours, vous voulez encore de moi !

- Pas de doute là-dessus, ria Brune, assise à côté de Léon.

Le professeur fit l'appel rapidement pour être certain d'avoir retenu le prénom de l'ensemble des élèves. Son regard se posa avec surprise sur Léon Foucault. Celui-ci était dans un état déplorable. Léon était allé directement de la soirée chez Félix au cours, comme quelques-uns de ces camarades. Il portait des vêtements froissés, dont un t-shirt tâché ce qui était interdit par le règlement de l'école. Le professeur, qui ne comprenait pas l'intérêt de ces contraintes vestimentaires ne lui en tint pas rigueur, mais il s'inquiéta. L'élève n'avait jamais fait très attention à ses vêtements, mais il n'était jamais négligé. Léon avait aussi l'air très fatigué. Son teint était presque blafard, alors que les vacances venaient de s'achever. Lorsque le professeur énonça son nom, l'élève répondit d'un faible « présent » à peine audible, que Pierre n'aurait pas entendu s'il n'avait pas fixé son élève d'un regard perçant. Lorsque leurs regards se croisèrent, Léon baissa ses yeux verts, fixant sa table. Le professeur ne voulait pas mettre en difficulté son élève devant toute la classe et continua l'appel.

Léon avait toujours été captivé par les cours de M. Monnerville. Seulement, ce jour-là, il était si mal en point qu'il peinait à suivre son flot de parole, régulièrement interrompu par les rires de ses camarades. Il espérait qu'au fond de la classe, il ne serait pas démasqué. Un mal de crâne semblait brûler ce qui lui restait de cervelle fonctionnelle, ses épaules étaient ankylosées d'avoir dormi dans une terrible position sur le parquet de Félix avec une dizaine d'autres garçons. Il se demanda alors s'ils se sentaient aussi mal que lui, quand il aperçut Alex qui était aussi à la fête. Celui-ci le regardait en riant, mimant quelqu'un descendant une bouteille cul-sec. Léon ne souvenait pas exactement des détails, mais il devait avoir sacrément bu. Son téléphone vibra alors dans sa poche.

Un nouveau message.

Félix G. : ça va mec ? désolé pour hier. Je n'aurais pas dû te laisser boire autant. On peut discuter si tu veux.

Léon : Mal au crâne et je pue la bière, mais ça va. Il s'est passé quoi ? je n'ai pas les idées très claires, LOL. T'es pas en cours veinard ?

Félix G. : Si, SES avec Mathard. Pas de risque. 😊 Bah tu as un peu déballé ton sac hier, t'as l'alcool triste mon pote...

Léon : Non ... vraiment ? désolé d'avoir pourri l'ambiance alors... D'habitude, je suis fun.

Félix G. : T'inquiète. Je préfère ça ! Alex a failli faire du skate dans l'escalier. En tout cas, n'hésite pas si tu as besoin de quelqu'un pour t'écouter. Je suis une grande gueule, mais je peux être là s'il le faut. 😉

Léon : Cimer, c'est sympa. Je suis en cours avec Monnerville, je rate des vannes d'enfer, je te laisse. A toute.

F.G : A+ Léon le videur de bouteille.

Léon n'était pas du genre à étaler ses sentiments, ni même à se révéler. Il parlait peu de lui-même, comme son père. Pour le jeune adolescent, cela avait toujours été un mécanisme d'auto-défense efficace. Il est vrai que le lycée catholique ne voyait pas d'un bon œil les effusions de sentiments. Ceux qui pleuraient était souvent soutenus par leurs camarades, mais dévisagés par le corps enseignant. Il ne fallait pas montrer ces failles, pour être plus « fort ». Le blond le savait étant dans l'établissement depuis l'école primaire. Par ailleurs, il avait une peur terrible d'être un idiot, de prouver par ses paroles qu'il était bizarre. Il n'accepterait jamais la proposition de Félix. Il se mordait les doigts : « J'espère que je n'ai rien dit de désespérant » pensait-il, lorsque la sonnerie retentit. Alors que l'ensemble de ces camarades se ruaient vers le couloir pour chercher leurs affaires, Léon resta assis, il avait déjà prévu son livre pour le cours suivant – ses réflexes de premier de la classe le sauvaient d'un déplacement qui aurait été difficile. M. Monnerville le regarda et souri avant de quitter la salle. Léon était soulagé : le professeur n'avait pas remarqué le piètre état dans lequel il était.

Quelque part dans l'inachevéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant