Berdiaev place l'homme au centre de ses recherches philosophiques, en cela il se distingue de Jacob Böhme qui est avant tout un penseur de Dieu. Quant aux problèmes de la création du monde et de l'homme, le statut de la personne et de l'individu, du mal et de la théodicée et enfin et surtout la question de la liberté, ils constituent le point de départ de ses réflexions philosophiques. Il déclare dans son Autobiographie spirituelle que ses idées tournent autour de la place de l'homme dans l'univers et de sa destinée : « Cependant, mes problèmes restaient les mêmes. La liberté, la personne, la création,le mal et la théodicée furent toujours au centre de ma philosophie ; ces problèmes se réduisaient, au fond, à un seul, celui de l'homme, de sa destinée, de la justification de son activité créatrice. »
Berdiaev déclare avoir lui-même personnellement expérimenté le phénomène de la liberté de façon existentielle dès son plus jeune âge. Ses expériences lui ont permis de saisir l'aspect fondamental de la liberté à la base de toute existence, de Dieu y compris. La philosophie grecque, le bouddhisme ainsi que les différentes religions auraient occulté ou bien seraient passés à côté du problème essentiel de la liberté. Berdiaev considère que seuls Böhme, Nietzsche et Dostoïevski ont cerné de façon adéquate le mystère relatif à ce point fondamental de la philosophie anthropologique et de la religion. Persuadé que la liberté est la cause de la souffrance, elle serait également à l'origine de l'existence humaine et divine.
(...) Dans son ouvrage consacré à Berdiaev, Laurent Gagnebin insiste sur l'importance décisive de la notion de liberté dans la philosophie de Berdiaev :
« L'idée de liberté incréée est une des plus délicates et inattendues dans la pensée et l'œuvre de Berdiaev, idée qu'il a mis longtemps à préciser, mais qui apparaît en fait dès son premier grand livre, à savoir Le sens de la création. »
Cette idée d'une liberté indéterminée est essentielle tant pour l'homme que pour le philosophe. En effet, Berdiaev ne cesse de clamer sa passion pour la liberté elle est à ses yeux notre bien inné le plus fondamental. Les questions qu'elle soulève sont le nœud gordien de son existence, aussi bien en regard de sa vie personnelle que de sa philosophie. La liberté est son essence, sa devise. Il se considère lui-même comme un homme libre ou plutôt libéré de l'objectivation du monde. Comme nous l'avons déjà souligné, sa conception de la liberté n'est pas empruntée à Böhme, l'auteur russe s'en défend dès son premier ouvrage majeur : Le sens de la création. Sa rencontre avec l'œuvre du cordonnier ne fera que le conforter dans ses propres intuitions, celles relatives à la question de la liberté indéterminée de l'homme et de Dieu et à la vie intra-divine. Il pense à l'instar de Böhme et de Maître Eckhart, et a contrario des théologiens, qu'un principe irrationnel à la base de lacréation rend insensée toute conceptualisation de l'Ungrund . Seul le symbole est apte à nous faire appréhender les mystères divins. La liberté absolument originelle, est antérieure à tout être, même au Dieu de la Trinité. Elle est inséparable des notions de création ex-nihilo et du problème du bien et du mal.
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Nicolas Berdiaev, Liberté et Créativité : les nouveaux défis de l'homme moderne
Non-FictionLa perception de Berdiaev relative à la liberté est aussi profonde qu'originale puisqu'il la situe avant le Dieu créateur lui-même voire la Déité ! Le philosophe russe expatrié dans notre pays au début du XXè siècle est resté injustement dans l'ombr...