Anne et Matthieu

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Lettre à toi

Anne et Matthieu


À vous,

lirez-vous cette lettre ou jetterez-vous la si vous devrez quelle vient de moi?

Lassée de tout et de tout le monde je vis à présent retranchée dans une petite maison, qui se trouve dans les bois. Il y fait bon l'été mais les hivers y sont durs. Je vis entourée de la nature et des animaux. Je crois que ces derniers se sont enfin habitués à ma présence dans leur habitat. Je peux en approcher certains, c'est super impressionnant et enrichissant. J'aime ma vie à présent, je la préfère à mon ancienne vie à Paris. Ici je peux être libre, être moi. Ne m'en voulez pas.

Je me suis enfin décidée à vous écrire après plus d'un an dans le silence. Je vais avoir vingt ans dans quelques jours et c'est dur d'ignorer le fait que je ne vous ai pas expliqué la raison de mon départ. Il est vrai que je suis partie comme cela, comme une voleuse. En tant que parents cela a dû vous faire un choc. J'en suis sincèrement désolée. Je ne sais pas si cela va changer quelque chose mais laissez-moi tout de même vous expliquer.

Depuis toute petite, je ne me suis jamais vraiment sentie à ma place parmi les autres enfants. Je me suis vite fait harceler par mes camarades. Je crois que le pire, c'est que je ne sais même pas la raison de ce harcèlement. Les insultes, les moqueries, j'étais bizarre pour les autres élèves. Les professeurs ne voyaient rien et je pense que c'était mieux qu'ils ne sachent rien, comme ça c'était plus discret. En plus de cela, je n'avais pas réellement d'amis. J'étais donc seule face à la solitude et aux moqueries. Je sais que vous auriez voulu que je vous en parle, seulement j'avais honte. Déjà que ma scolarité n'était pas une grande réussite, je ne pouvais rajouter autre chose pour vous décevoir. Plus je grandissais et plus un vide se creusait en moi. Il me manquait quelque chose pour aller mieux, pour vivre pleinement et profiter de la vie. C'est là que j'ai commencé à écrire des petites histoires. Je pouvais décider du déroulement de la vie de chacun et cela m'allait convenablement. J'imaginais des aventures que je pourrais vivre dans une autre vie, des amis que j'aurai pu avoir et des amours dont je serai folle amoureuse. L'écriture est une drogue dangereuse. C'est cette addiction qui m'a détruite je crois mais je ne le savais pas encore. L'écriture ruine tous liens avec le reste autour de vous. Elle nous enferme dans une bulle avec pour simple compagnie, les personnages que nous créons. C'est à ce moment là que nous avons rompu les liens. Je restais enfermée dans ma chambre, enfermée à écrire et vous ne faisiez plus attention à moi. Nous ne discutions plus, nous ne nous parlions plus vraiment, seulement des banalités. Il fallait comparer les repas avant et après que l'écriture soit entrée dans ma vie. Tantôt un repas plein de joie, de rire, de confidence, tantôt un repas où le silence est roi, interrompu par les seuls bruits de nos couverts heurtant nos assiettes. Je ne sais pas comment vous avez vécu ce moment. Je crois que nous n'avons même pas remarqué le vrai de la situation sur l'instant présent. Nous nous voilions la face, pour ne pas se confronter à la réalité : la joie de vivre avait disparue. Je passais tout mon temps libre à vivre des aventures à travers mes histoires, je ne sortais que rarement de ma chambre. J'écrivais jour et nuit pour combler la solitude qui me hantait. Et même si c'est ce qui m'a détruit, je crois que l'écriture m'a également sauvée la vie. Sans elle, je serai restée dans une solitude sans fin.

Je ne suis pas partie pour vous faire de la peine, cela n'avait d'ailleurs pas vraiment de rapport avec vous. Je voulais juste savoir qui j'étais réellement. Je ne voyais pas mon avenir à la maison. Je devais sortir de mon confort, faire de nouvelles expériences, vivre mes aventures autrement qu'à travers mes écrits. Je ne crois pas que vous comprendrez, et je pense que vous m'en voudrez. Prenez le temps qu'il vous faut pour me pardonner. Je peux attendre aussi longtemps que vous me l'obligerez.

Je connais votre avis sur mon nouveau style de vie. Alors je vais vous rassurer, c'est la moindre des choses. Pour commencer, ne vous inquiétez pas, je porte des vêtements et des chaussures qui viennent d'un magasin prévu à cet effet. J'ai de l'eau et également de la nourriture. J'ai même du gaz, l'eau chaude. Le seul truc qui me manque, ici, est l'électricité. J'ai appris à vivre sans et maintenant je vois que je n'en avais pas vraiment besoin. Je gagne un peu d'argent pour manger, car oui je ne mange pas que des plantes ou des animaux morts. Je suis comme vous. Le supermarché n'est pas si loin en vélo. Bien évidemment je travaille pour gagner de l'argent, je ne mendie pas. Je travaille dans une entreprise de ménage. Et oui, moi et le ménage, vous vous rappelez ? Les gens changent comme on dit.

J'ai beaucoup changé. J'ai aussi gagné en maturité cette année. Vivre comme je le fais n'est pas si facile, donc cela fait grandir. Les trois premiers mois ont été durs. Je voulais rentrer à la maison chaque soir. J'ai énormément pleuré mais désormais je ne pleure plus.

Maman, je sais que si quelqu'un devait m'en vouloir, ce serait toi. La dernière personne que j'ai vu avant de partir, c'est toi. Te souviens-tu de ce jour ? Papa était au travail et tu partais pour le centre commercial. Tu devais y rejoindre tante Laura pour un après-midi entre sœur. Je suis descendue au salon et tu m'as regardée dans les yeux sans un mot. Un regard de tristesse, ou peut-être même de pitié, je ne sais toujours pas après tout ce temps. J'ai beaucoup hésité et je voulais revenir à la maison pour vous expliquer. C'est bête mais je n'ai jamais eu le courage de revenir. Le courage pour affronter ton regard, tes paroles, tes jugements. Alors chaque jour je me levais pour apprendre à gagner en force mentale pour pouvoir une jour affronter ton regard. Pour te tenir tête le jour où je te reverrais. J'ai appris et je suis prête pour une discussion. Alors quand tu veux maman, on se retrouve autour d'un café, pour discuter.

Papa, je sais que je t'ai déçu. Tu m'as appelé tant de fois. J'ai hésité à répondre et tellement de fois j'ai failli craquer. J'aurai voulu entendre ta voix, cela m'aurait rassuré à coup sûr. Mais encore une fois j'avais peur. C'est bête ce que la peur peut nous entraîner à faire, n'est-ce pas ? J'avais peur que tu ne m'aimes plus, que tu me renies. Si c'est le cas, je crois que je ne t'en veux pas de me détester. Il faut savoir assumer ses choix quoi qu'il arrive et je les assume, mes choix. Je peux te remercier de m'avoir appris certaines choses, que je pensais à l'époque inutile dans ma vie. J'ai construit, seule, ma maison. Je me suis débrouillée pour l'aménagement de celle-ci, grâce à toi et ton amour pour le bricolage. Si tu le souhaites, tu pourras venir voir où j'habite. M'aider à améliorer mon lieu de vie, reprendre le bricolage ensemble, comme à l'époque.

J'espère que malgré tout, vous ne m'en voudrez pas trop. J'espère qu'à présent vous avez compris certaines choses et que vous m'accorderez une seconde chance. Sachez que je n'ai cessé de penser à vous. Que vous restez mes parents quoi qu'il advienne. Comme on dit, il n'est jamais trop tard. Et je tiens une dernière fois à m'excuser. Vous n'avez pas mérité de perdre votre enfant l'année dernière. Cela a du vous rendre inquiets, alors pardonnez-moi je vous prie.

Je vous aime !

À bientôt je l'espère.

Marjane

Lettre à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant