Jérémy

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Lettre à toi

Jérémy


À toi,

Je ne sais plus quel jour cela s'est passé, d'ailleurs je n'ai pas forcément envie de m'en rappeler. Il me semble que cela s'est produit en novembre, j'étais encore au collège, en 5eme peut-être. Le 10 ? Le 14 ? Le 18 ? Ce que j'en sais c'est que je ne me doutais de rien. Personne ne s'en doutait. Malgré le temps qui s'est écoulé depuis, j'ai l'impression que c'était encore hier. Pourtant c'est arrivé il y a cinq ans. Je n'ai pas encore digéré ton choix, je crois que je t'en veux encore.

Nous n'étions pas particulièrement proches. Nous nous voyions pour les repas de famille et nous rigolions souvent ensemble, mais notre relation s'arrêtait là. Tu passais voir papa et maman de temps en temps mais c'est tout. Je pense sincèrement que si tu avais habité plus près de chez nous, nous aurions pu être vraiment proches mais nous ne pouvons pas changer le passé, alors j'accepte les choses telles quelles sont.

Beaucoup t'appréciait, pour ta gentillesse et ta bonne humeur. Nous pensions tous que tu allais bien, car tu souriais tout le temps. En réalité, tu n'allais pas bien, même pas bien du tout. Enfin c'est la déduction que j'en ai faite suite à ton acte. Tu n'as pas demandé d'aide et tu t'es laissé tombé. Quand tu as touché le sol, tu n'avais plus de force pour rebondir alors tu es resté à jamais dans ce trou sans jamais pouvoir en sortir. Tu as alors abandonné, sans pouvoir faire machine arrière.

D'ailleurs lorsque j'y repense, je ne sais pas encore où j'enverrai cette lettre après l'avoir écrite. Est-ce qu'ils reçoivent les lettres au paradis ? Si oui, je te l'enverrai ainsi par la poste. Si non, tu devras attendre que je te rejoigne, il te reste encore quelques années à attendre car je ne suis pas pressée de te retrouver. Oui tu devras attendre !

Tu veux savoir ce que j'ai ressenti quand tu es parti ? Moi même je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé dans mon corps. Je peux tout de même essayer de t'expliquer. Ça risque de pas trop te plaire, mais au moins tu connaîtras la vérité. Es-tu prêt ?

En premier sentiment, j'évoquerais le vide. Je ne sais pas si le vide à proprement parler est un sentiment mais c'est réellement ce que j'ai ressenti au fond de moi. Un néant infini. Par la suite, je pense que l'abandon à fait son arrivée. Je n'allais pas bien à cette période là, tu m'avais dit que tu allais m'aider, afin que j'aille mieux. Tu me l'avais promis. Maintenant que tu ne peux plus m'aider, ta promesse ne tient plus à rien. J'ai aussi éprouvé de la colère contre toi voire beaucoup de haine. Puis après quelques temps la haine à laisser place à la tristesse. J'ai beaucoup pensé et réfléchi. Je me posais des questions sur ce thème-là. Certaines questions que je ne me serais jamais posées si tu ne l'avais pas fait. J'ai grandi assez vite, une claque de maturité. Je n'étais pas prête, mais ça m'a aidé à affronter certains problèmes que la vie m'avait réservée.

Je te pensais égoïste. Je l'ai dit plusieurs fois, je l'ai crié même. Puis en y réfléchissant, je me trouvais moi-même égoïste. J'ai essayé de me mettre à ta place. Cela m'a pris du temps mais j'en suis arrivée à une conclusion. Si tu étais mal dans ce monde, sans aucune envie d'y rester, pourquoi devrais-tu obligatoirement rester ? C'est moi l'égoïste ici dans ce cas-là. Je ne peux forcer quelqu'un qui est mal à rester dans ce monde.

Je ressentais malgré moi un certaine colère. Tu ne nous as rien laissé. Encore aujourd'hui nous sommes dans l'incompréhension et la tristesse. Beaucoup de personne ne te pardonneront jamais ce que tu as fait. Certains auront besoin de temps. D'autres, quant à eux, ont besoin d'oublier.

Je pense à tes parents, perdre un enfant, quelque soit son âge de celui-ci, doit être dur. C'est une épreuve difficile à passer. Eux étaient entourés et aimés. Ils ont été beaucoup soutenus. Tant mieux. Je sais qu'ils t'en veulent, c'est normal. Mais ils te pardonneront bientôt. J'en suis sûre.

Je pense à ta fille. Elle a perdu son père. Je n'imagine pas perdre le mien. Personne ne peut imaginer cette douleur. Son protecteur, son repère. Elle ne t'a jamais détesté pour ton geste. Son calme m'a toujours impressionné.

Je pense à ton fils. Tu étais son modèle. Il voulait devenir un homme, comme toi disait-il. Il voulait te ressembler. Il sait que tu ne seras jamais réellement fier de lui. Tu l'as énormément déçu. Il a su se relever, mais il pense encore souvent à toi. Se demande comment serait sa vie en ta présence. S'il avait fait les même choix.

Je pense également à ta femme. Je ne veux pas imaginer ce qu'elle a du ressentir. Ses émotions, sentiments... ses nouvelles angoisses. Elle essaye de ne plus y penser, donc elle se bat chaque seconde pour faire face à cette réalité. Elle te parle souvent le soir dans ce lit que vous avez partagé. Elle te parle comme si tu allais lui répondre, comme si cela n'était qu'un cauchemar et qu'elle allait se réveiller au petit matin, près de toi. Malheureusement pour elle, elle ne rêve pas et tu es vraiment parti.

Dis-moi comment est le paradis ? Est-il décrit comme dans les livres ?

Parfois je regarde le ciel et je te parle comme si tu m'écoutais. Je te raconte mes problèmes, pour que tu puisses comme promis m'aider à les résoudre. Je me sens nulle de penser que tu puisses m'entendre ou m'aider mais je ne peux m'empêcher de le faire.

Je pense que j'ai fait le tour de la question. Je ne vois pas quoi te dire d'autre. Je t'en veux mais te comprends. Je te déteste pour ton geste mais je t'aime quand même pour toujours.

Zoé

Lettre à toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant