La boîte de nos souvenirs

Chapitre 1

Papier

Numéro 1

Rencontre

James ferme les yeux. Son esprit se met en route. Le temps fait marche arrière puis se suspend sur ce moment précis de sa vie : sa rencontre avec Marylou.

Été 2019, James

— James ! Blocage. Voilà, casse la distance !

Jeff beugle comme un veau depuis vingt minutes. Il a déjà fait le tour du ring une dizaine de fois, une vraie pile électrique. Je ne sais pas ce qu'il a pris au p'tit-déj mais je veux bien la même chose, ça ne me ferait pas de mal. Je suis à la ramasse depuis que je me suis levé, j'ai la gueule de bois et j'ai mal au bide, vestiges sympathiques de la soirée de la veille.

— Putain, James, mais tu vas te sortir les doigts du cul, oui ou merde ?

Amis de la poésie, je vous souhaite la bienvenue dans l'antre de Jeff. Ce club de boxe, c'est toute sa vie. Ancien boxeur lui-même, il enseigne désormais son art avec une passion inégalée et presque inquiétante. Je suis ses conseils depuis presque dix ans maintenant, il m'a connu tout jeune, j'avais à peine quatorze ans et je voulais déjà être le plus grand, le plus fort, le meilleur. Un vrai petit con. Jeff m'a rapidement fait redescendre sur terre avec ses remarques incisives, son air bourru et son autorité lapidaire. Je n'aurais pas pu mieux tomber. Il est un mentor extraordinaire, je ne peux pas lui enlever. Même si là, tout de suite, j'ai surtout envie de le cogner. L'entendre hurler des ordres toutes les trois secondes commence sérieusement à m'échauffer.

Je mets fin au combat en m'inclinant légèrement devant mon adversaire. Il tape son gant contre le mien et quitte le ring. Je l'observe un instant, sa carrure est imposante mais il reste, néanmoins, plus fin que moi. Sa pratique est encore incertaine, ses gestes ne sont pas tous contrôlés. En temps normal, je l'aurais bouffé, il va vraiment falloir que je freine sur les sorties nocturnes et la beuverie entre potes sinon je vais finir par perdre ma place. Je suis devenu l'un des meilleurs boxeurs du pays à force de sacrifices et de volonté mais ces derniers temps, ma détermination se fait gentiment la malle. Je suis rincé de toute cette rigueur.

— On peut savoir ce qui t'arrive ? gueule Jeff en montant sur le ring, plus enragé qu'un bouledogue.

— Je suis crevé, je réponds en jetant mes gants au sol.

— Ouais, dis plutôt que tu es encore sorti toute la nuit ! J'en ai ma claque, James, fais ce que tu veux, j'abandonne, rétorque Jeff en me jetant un regard méprisant. Tu me fatigues. Je ne sais pas ce qui t'arrive en ce moment, je ne te reconnais plus. Même en crise d'adolescence, t'étais plus facile !

Jeff s'éloigne en proférant des jurons que j'entends à peine. Je sais qu'il finira par se calmer, j'ai l'habitude de ses coups de gueule. Au même moment, des sifflements retentissent dans le club. Les autres interrompent leur entraînement, je les vois se rapprocher des cordes en apostrophant quelqu'un. Je dirige mon regard vers leur cible et la mâchoire m'en tombe quand mes yeux rencontrent enfin l'objet de toutes les attentions.

Une brune incendiaire, un décolleté généreux, des formes troublantes, une crinière qui ondule entre ses omoplates, une gueule à faire pâlir Vénus elle-même, des yeux d'un bleu aussi saisissant qu'une mer caraïbéenne, de longues jambes et des lèvres...pleines et roses, plus attirantes qu'un aimant, plus dangereuses que les flammes de l'enfer. Bordel, c'est qui cette fille ? Je me prends un uppercut en pleine poire quand je la regarde traverser la salle avec une indifférence totale. C'est encore plus foudroyant qu'un K.O en règle, cette femme est sublime.