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Samedi soir, minuit.

Dehors, la lumière des réverbères filtre à travers les rideaux de ma chambre et les phares des voitures se font plus rares à cette heure-ci. Je repousse ma couverture et me lève. Je frissonne lorsque mes orteils rencontrent les lattes de parquet froides et enfile une veste en vitesse. Je me chausse ensuite de mes bottines et traverse l'appartement en silence pour me glisser hors de celui-ci. Puis je dévale tranquillement les marches d'escalier de l'immeuble et, lorsque j'ouvre la grande porte de bois, l'air frais du mois de mars me glace le visage. Mais cela ne me fait pas reculer et je sors, les mains dans les poches, marchant sur le trottoir d'un pas soutenu pour me réchauffer. Malgré le froid mordant, les rues de Paris ne sont pas désertes. Je file entre les quelques passants, la tête rentrée dans les épaules, mes écouteurs vissés sur les oreilles, diffusant On brûlera de Pomme.

Sortir à cette heure avancée de la nuit me fait éprouver un immense sentiment de liberté. Une liberté dont j'ai bien besoin. J'oublie le passé et le futur pour ne plus me concentrer que sur le présent. Mes pensées vagabondent, libérées de la censure qui les retient tous les jours et surtout, je vis. C'est le seul moment où je peux être pleinement moi-même et où je ressens que je suis une personne à part entière. Le jour, j'oublie cela. Le jour, je souffre et la nuit, je tente de cicatriser les plaies qui me meurtrissent intérieurement. Mais le lendemain, elles sont de nouveau ouvertes, immanquablement. Et alors je maudis ma vie, les gens qui la partagent et le monde entier.

Je traverse la route pour me rendre à l'aire de jeux pour enfants, abandonnée à une heure pareille. De l'autre côté de la grille, dans le vaste terrain, les arbres se dressent, majestueux dans la nuit et projettent leur ombre au sol, ondoyant au gré du vent. À proximité se trouvent deux balançoires aux chaînes grinçantes, un tourniquet fantôme tournant sur lui-même sans l'aide d'aucun enfant et un toboggan à la peinture orange défraîchie. Ce n'est pas le genre d'endroit rassurant, la nuit, mais il m'est familier et je savoure le silence qui y règne lorsque je m'y rends.

Je foule le gravier et me dirige vers mon Banc. Mais je m'arrête net à mi-chemin. On dirait qu'il y a quelqu'un dans la pénombre, recroquevillé sur lui-même, immobile. Est-ce un sans-abri ? Je décide de m'approcher de quelques pas pour mieux voir.

Mes yeux ne m'ont pas trompée. Il y a bien une personne sur le Banc. Mais il s'agit d'un garçon, de mon âge peut-être, dont la capuche est rabattue sur sa tête, cachant ainsi en partie son visage. Je fais de même et décide de lui céder ma place pour m'installer un peu plus loin. Lorsque je passe d'un pas rapide devant lui, l'adolescent relève la tête.

— Que faites-vous ici ? me demande-t-il, me stoppant dans mon élan.

Je retire mes oreillettes. De quoi se mêle-t-il ?

— Je pourrais te retourner la question, dis-je d'un ton que j'espérais pas très engageant, en m'éloignant.

— J'ai fugué.

Je me retourne, consternée par sa facilité à confier une chose pareille. Si je fuguais, je ne le dirais surtout pas aux gens que je croiserais. Je soupire d'exaspération.

— OK et je fais quoi de cette information ? Je la transmets à la police pour qu'elle te retrouve ?

— Dans ce cas-là, je partirai de ce parc, répond-il simplement.

— Ça me va, je les appelle tout de suite ! je déclare, en dégainant mon téléphone portable.

Je n'avais qu'une envie : qu'il s'en aille pour être tranquille.

— Vous êtes sérieuse ?

— Bah oui.

À son tour de soupirer. Puis de rire.

La vie qui nous consumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant