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she's the first one that I see

Les derniers rayons du soleil laissaient doucement place à la clarté de la lune. Les derniers morceaux sortis résonnaient dans le petit chalet de la famille Tran. Des dizaines de lycéens s'étaient rassemblés pour célébrer Halloween. La pièce était plongée dans la pénombre, avec pour seule source de lumière les rayons de la lune et les guirlandes multicolores accrochées aux murs. On pouvait voir toutes sortes de déguisements ; passant du vampire traditionnel à son personnage fictif favori.

Mes yeux rencontrèrent ceux d'un des nombreux Joker de la soirée. Il me dévisagea avant de faire semblant de vomir pour amuser ses copains. Je lui offris mon plus grand sourire avant de détourner le regard. Deux loups-garous se bécotaient tandis qu'un agent du FBI tentait désespérément de les séparer.

« Ce serait pas Elyn là-bas ? Qu'est-ce qu'elle fout ici ? »

À l'entente de mon prénom, mon regard dériva vers le groupe de filles qui étaient supposées être mes amies il y a à peine deux semaines.

« J'suis remontée des enfers juste pour toi ma belle, souris-je. »

Elle portèrent une main à leur croix et, d'un geste presque robotique, tournèrent les talons en continuant de chuchoter des insultes à mon égard. Un soupir franchit mes lèvres alors que je me laissais tombée sur une chaise près du bar. Mon bras se tendit machinalement et saisit la première bouteille accessible.

« Calme sur l'alcool, Bennet.
- Depuis quand tu t'intéresses à moi, Gilson ? »

Il tira une chaise pour s'installer face à moi, posa une main sur ma cuisse et murmura à mon oreille :

« Tu sais, depuis que t'as... tu sais quoi, Sarah et moi on se demandait si t'étais partante pour.. tu sais.. »

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que ma main vint s'écraser sur sa joue.

« Va te faire foutre, Gilson, j'suis pas une putain de poupée gonflable. Ta meuf et toi pouvez garder vos petits fantasmes pour vous. »

Il ne répondit pas, restant la bouche ouverte et les yeux baissés. La plupart des têtes s'étaient tournées vers nous. Je saisis ma bouteille, traversai la pièce et sortis du chalet.

La fraîcheur de l'automne me frappa de plein fouet. L'on entendait encore les sons assourdissants qu'ils appelaient de la "musique". J'avançais autour du lac, prenant une gorgée de temps en temps. Mes chaussures compressaient mes pieds, m'empêchant de marcher correctement.

« Foutus, j'enlevai le premier, talons, puis le deuxième, de merde, grognais-je en les prenant à la main. »

Après quelques minutes de marche, je finis par m'être suffisamment éloignée pour n'entendre que les criquets et le léger bruit des vaguelettes qui parcouraient l'eau. À quelques mètres de là où je me tenais, un ponton me faisait de l'œil. Il donnait sur ce qui semblait être le centre du lac. Je m'avançais lentement pour ne pas blesser mes chevilles, les pieds dans la boue. Je l'atteignis finalement ; il était occupé. J'allais faire demi tour quand une petite voix m'interpella :

« Tu peux rester si tu veux, y'a assez de place pour nous deux. »

Plus je parcourais la courte distance qui nous séparait, plus la figure devenait net. Son costume était d'un blanc immaculé, un blanc qui ferait presque mal aux yeux. Un faible sourire étira mes lèvres quand je compris ce qu'elle était censée être.
Je pris place à ses côtés, mon regard toujours porté sur elle. Il ne me semblait pas l'avoir déjà aperçue où que ce soit. Ses cheveux bouclés avaient visiblement étaient lissés pour l'occasion. La couleur de son costume contrastait cruellement avec le noir de sa peau.

« Comment tu t'appelles ? demandai-je »

Elle parut surprise que je lui adresse la parole. Elle leva de gros yeux bruns vers moi, son pouce droit se portant automatiquement à sa bouche.

« Pardon ? répondit-elle de la même petite voix.
- Comment est-ce que tu t'appelles ?
- Oh, elle marqua une pause. Maya, je m'appelle Maya. »

Maya. C'était joli comme prénom ça ; Maya. Ça lui allait bien aussi ; Maya.

« Moi c'est Elyn, lui dis-je. »

Elle m'offrit un timide sourire ; Pas très bavarde.

« T'en veux ? ma bouteille tendue en sa direction. »

Ses yeux s'écarquillèrent encore un peu plus d'effroi alors qu'elle secouait vivement la tête.

« Oh non non, je ne bois pas. Maman me tuerait si je goûtais à ça.
- Un vrai petit ange, plaisantai-je. »

Ses yeux ronds restèrent inexpressifs. Je me pensais plus drôle que ça.

Le silence prit doucement place entre nous. Elle ne voulait visiblement pas me parler. Je battais mes pieds dans le vide, frôlant l'eau des orteils. Machinalement, je prenai une gorgée. Mon regard se porta une nouvelle fois sur elle. Elle fixait l'autre rive, comme si elle attendait que quelque chose surgisse de parmi les pins. Finalement, elle tourna la tête vers moi.

« Ta blague était drôle tu sais, dit-elle.
- Tu n'as pas ri pourtant.
- Je n'aime pas trop mon rire.
- Moi je suis sûre qu'il est super.
- Non, non.
- Bah rigole alors, que je juge, souris-je.
- Je n'peux pas rire sur commande, c'est bizarre, grimaça-t-elle. »

Un nouveau silence.

« Je sais qui tu es.
- Heureusement, je t'ai dit mon prénom il y a à peine dix minutes, ris-je.
- Non, tu ne comprends pas, elle inspira un grand coup. Je sais qui tu es.
- Oh. »

Mon visage se ferma automatiquement. Foutues petites villes d'Angleterre. Tout se savait en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

« Maman dit que c'est mal de, tu sais, d'aimer les garçons et les filles, continua-elle. »

Je ne répondis pas.

« Moi je n'trouve pas ça mal. Ce n'est pas de ta faute, elle fit une pause. Je pense même que si tu avais eu le choix qu'en vivant ici, tu n'aurais choisi que les garçons. Ça t'aurait évité beaucoup de problèmes. »

Elle leva de nouveau ses grands yeux bruns vers moi, probablement en attente d'une réponse. Sous l'impact du choc, ma bouteille était restée bloquée quelque part entre le bois et ma bouche.

« Eh bien Maya, tu dois être la seule habitante de ce trou pourri qui a une once de lucidité.
- Dieu dit d'aimer son prochain. Détester quelqu'un par rapport à sa sexualité, c'est faillir à son devoir. »

Le silence nous enveloppa de nouveau, moins pesant cependant. Son regard était de nouveau porté sur les pins, et moi, je la regardais. Elle rongeait nerveusement l'ongle de son pouce droit. Ça faisait du bien d'entendre ce que ma propre famille n'avait pas été capable de me dire.

Maya Où les histoires vivent. Découvrez maintenant