2.

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and I don't know why

« Moi, je n'te connais pas.
- On a eu Littérature ensemble, pendant deux ans.
- Je n'ai jamais vraiment suivi les cours, avouai-je.
- Je sais, tu dormais juste devant moi. Parfois, tu me demandais un crayon et tu te débrouillais toujours pour le remettre dans ma trousse sans que je ne le remarque. »

Je me sentais mal de ne pas me souvenir d'elle alors qu'elle semblait avoir de si bons souvenirs de moi.

« Littérature hein ? T'aimes bien ? demandai-je.
- Assez oui, surtout le dernier roman qu'on nous a donné à étudier.
- J'l'ai pas lu, ris-je. »

Elle n'eut pas l'air particulièrement amusée.

« Ça veut pas dire que j'lis pas, juste pas celui-là, précisai-je.
- Qu'est-ce que tu lis alors ?
- Beaucoup de classiques français, je prépare ma rentrée.
- Tu parles français ? »

Ses yeux brillaient d'une lumière nouvelle.

« J'ai de la famille qui habite à Paris, expliquai-je.
- J'ai toujours voulu parlé français. Maman parle français tu sais, mais elle n'a jamais voulu m'apprendre.
- Elle a pas l'air très fun ta maman. »

Elle ne répondit rien mais son regard parla pour elle.

« Vous vivez toutes les deux ?
- Depuis que mon père est mort.
- Je suis désolée, dis-je en saisissant sa main.
- Ne le sois pas, je ne l'ai pas vraiment connu. Je devais avoir quatre, cinq ans. »

Elle m'offrit une ébauche de sourire avant de reprendre la parole :

« Je l'aime beaucoup Maman tu sais, elle a toujours tout fait pour moi, elle soupira. C'est pour elle que je travaille autant, elle ne mérite pas une fille médiocre. Elle mérite la perfection et Dieu sait comme j'essaye de lui offrir, mais elle ne semble jamais satisfaite. »

Je m'allongeai sur le ponton, les pieds dans le vide, les yeux toujours rivés sur son visage doux. Son amour pour sa mère était évident mais son langage corporel continuait de la trahir un peu plus chaque seconde.

« C'est pas humain de passer autant de temps à vouloir atteindre la perfection, un jour tout va te retomber dessus. »

Elle baissa son regard sombre vers moi et je repris :

« Puis, qu'est-ce que c'est la perfection d'abord ? C'est super subjectif comme notion alors si tu cherches à atteindre celle de quelqu'un d'autre, autant sauter tout de suite du bord de la falaise. T'es une chouette fille Maya et je suis persuadée que tu aimes ta maman de tout ton cœur mais on ne vit qu'une fois alors profite du temps qu'il te reste pour vivre comme il se doit. Toute cette pression va juste finir par te tuer, soufflai-je. »

Ses yeux se mirent soudainement à briller. De minuscules perles salées s'entassaient, prêtes à entamer leur course.

« Wow, wow, wow, J'suis vraiment désolée si je t'ai blessé je-»

Elle coupa ma tirade en m'enlaçant. Ses mains agrippèrent le dos de mon t-shirt alors que sa tête venait se loger dans mon cou. Un peu surprise, je pris quelques secondes pour enrouler mes bras autour de sa taille. J'avais d'habitude horreur des contacts physiques mais, à ce moment précis, ma seule envie était qu'elle se sente enfin en sécurité.

Après ce qui semblait être plusieurs longues minutes, elle me remercia. Ses mains quittèrent mon dos, les miennes sa taille. Elle roula sur le côté pour s'allonger à ma gauche puis s'essuya les yeux, tentant vainement de m'offrir un sourire. Son regard retrouva ensuite les étoiles, le mien ne voulant plus quitter ses traits fins. Son visage, sculpté par les dieux de l'Olympe eux-mêmes, ne cessait de m'émerveiller.

Elle dut remarquer mon regard trop insistant car elle demanda :

« Qu'est-ce qu'il y a ?
- T'es belle, laissai-je échapper dans un souffle. »

Ses sourcils se froncèrent, ses lèvres s'entrouvrirent. Son air étonné m'arracha un rire.

« Tu te moques de moi ? »

Elle parut presque déçue.

« Bien sûr que non. Tu es vraiment très jolie, Maya. »

Le silence. Cette fois-ci, son manque de réponse ne m'étonna pas. Je commençais doucement à comprendre comment l'énigme qu'elle était fonctionnait.
Elle le brisa rapidement :

« Personne ne m'a jamais dit que j'étais jolie, murmura-t-elle.
- Vraiment ?
- Pas même Maman, continua-t-elle.
- Moi je te le dis.
- Tu es très jolie aussi, Elyn. »

Ces six mots me furent plus d'effet que ce à quoi je m'attendais. Elle agrémenta ses paroles d'un timide sourire ne me donnant qu'une envie ; m'emparer de ses lèvres.
Mais je n'avais pas le droit. Pas ici, pas maintenant, pas comme ça. Je refoulai mes désirs et tournai la tête vers les étoiles.

« Elyn ? sa petite voix atteignit mes oreilles.
- Hum hum.
- Qu'est-ce qu'il s'est vraiment passé avec Elizabeth ? »

À l'entente de son nom, une vague de souvenirs vint faire s'écrouler le faible mur derrière lequel j'avais réussi tant bien que mal à cacher mes émotions.

« C'est assez long.
- Je dois être rentrée pour minuit, m'informa-t-elle, un sourire derrière la voix.
- Comme Cendrillon ?
- Comme Cendrillon.
- Ne t'en fais pas, tu seras rentrée à temps, souris-je. »

Elle rit, une mélodie presque angélique. Je me fis violence pour ne pas la regarder.

« Je l'ai rencontrée l'année dernière, au club de théâtre du lycée. Elle portait une robe d'été jaune qui lui arrivait un peu au dessus des genoux. Je l'ai remarquée car elle avait renversé son café sur Mr. Williams et se confondait en excuses, ce qui m'a fait rire sur le coup. C'est à ce moment là qu'elle m'a regardée pour la première fois. »

Je m'étais sentie revivre. Son regard n'avait pas quitté le mien de toute la séance. Ses joues avaient doucement rosies quand je lui avais souri.

« Au début, on se contentait d'échanges de regard par-ci, par-là. Un bonjour lancé à la volée dans les couloirs mais rien d'extraordinaire. Puis on est devenues amies.
- Comment ?
- Pardon ?
- Comment est-ce que vous êtes devenues amies ?
- Oh, je pris quelques secondes pour analyser le souvenir qui resurgissait. Mr. Williams nous avait demandé de ranger les costumes avant de rentrer chez nous. On s'est retrouvées bloquées dans le lycée parce qu'il avait oublié de prévenir le gardien. On a passé la nuit à faire connaissance et, à partir du lendemain, on était inséparable, souris-je tristement. »

Cette nuit-là était gravée à jamais dans ma mémoire. Ses mèches blondes qui lui retombaient devant les yeux, son nez qui se retroussait quand elle riait, ses lèvres roses étirées en un sourire constant.

Maya Où les histoires vivent. Découvrez maintenant