Quand les morts parlent trop

Partie 4

« C'est bien vrai. On nous impose beaucoup de choses finalement. Se marier, avoir des enfants, bien les élever, et avoir de l'argent, pour pouvoir aller au théâtre, se faire bien voir. Si vous saviez comme j'ai déçu mes parents en ne parvenant pas à devenir médecin, ils avaient pour ambition de me voir chirurgien ! Je me retrouve à farfouiller des corps morts et pourris. Enfin en majorité... Mes pauvres parents... ! Ils n'auront pas eu la délivrance qu'ils espéraient... »

Georges s'amusait à voir s'articuler un tel personnage. En temps normal, s'il avait eu quelqu'un comme cela en face de lui, il l'aurait profondément méprisé et se serait ennuyé à mourir.

Il avait toujours énormément respecté ses parents, mais il n'aurait jamais renoncé à un métier pour leur faire plaisir. Il s'était lancé dans la médecine, certes, pour faire plaisir à son père, mais il n'avait jamais vraiment eu pour ambition d'être un grand médecin. Les enquêtes l'avaient toujours attiré et il avait bien vite découvert ce métier si proche de la police.

Il ne savait pas bien comment il en aurait parlé à son père s'il n'avait pas été mort au moment où il avait fait son choix, mais il savait qu'il n'aurait pas renoncé uniquement pour la volonté d'un parent, qu'il le chérisse ou non.

De toute manière, Georges n'était pas un homme comme ceux de son milieu. En société, lorsque ses parents et lui sortaient, il s'était toujours fait remarquer. On le connaissait pour être turbulent et intenable. Il n'avait jamais apprécié les soirées théâtres si elles ne se terminaient pas en bonne compagnie, derrière les rideaux d'une loge.

Pour l'instant, peu importait. Tout ce qu'il cherchait c'était que son personnage plaise à Charles et qu'il n'ait pas l'air de la lui faire à l'envers. Ce qui semblait être le cas. Charles soupirait.

« Oui, nos parents, la société, l'argent, toutes ces obligations... Enfin, un jour, il est venu me voir et m'a dit ce qu'il comptait faire. Il voulait se faire passer pour un homme. Cacher sa poitrine, acheter des pantalons et des costumes, se couper les cheveux, même se dessiner un peu de barbe. Mais il ne pouvait pas le faire seul, au moins au début. Il avait besoin de mon aide.

« A ce moment-là, j'avais vingt-trois ans. Lui en avait vingt. J'ai pas su lui dire non, mais j'étais si... peiné. Je pensais qu'il allait réussir à oublier. Pour moi, il sombrait dans la folie. Vouloir faire tout ça, c'est... insensé. »

Le médecin se retint de hocher la tête. Pourtant, il était parfaitement d'accord. A la place, il mimait une expression intéressée et concentrée. Il voulait savoir ce qui avait mené cette femme à devenir un homme pour les autres.

« Je crois avoir compris qu'il n'en parlait qu'à moi. Je voulais pas être responsable de son... internement. J'avais besoin qu'il soit près de moi. Alors j'ai accepté.

-Oh, se risqua le médecin. Alors vous pensez malgré tout que Simon avait un problème.

-Oui, répondit-il, semblant malgré tout agacé. Mais vous n'avez pas tout entendu. Attendez la suite avant de revenir à vos conclusions médicales.

« J'ai fait ce qu'il m'a demandé. C'était risqué, mais personne l'a reconnu de toute la journée. Il semblait si heureux. Il m'a dit qu'il était soulagé. Quand il est rentré à la maison, mes parents pensaient que j'avais invité un ami.

« Plusieurs années plus tard, il m'a suggéré de le suivre. Il voulait déménager. Aller à l'usine lui pesait et il disait qu'il ne pourrait devenir un homme là-bas. On lui aurait demandé qui il était ou on l'aurait reconnu. Et il craignait que les paternels se rendent compte de sa supercherie.

« On habitait Lyon, et il avait choisi Paris comme destination. Vraiment très loin pour moi. Trop loin. Ca me faisait peur. J'ai essayé encore de le raisonner. Sans travail, on risquait de pas s'en sortir, de manquer vite d'argent. Et j'avais entendu parler de Paris. Ce n'est pas une ville facile à vivre. C'est vrai qu'il y a beaucoup de petits emplois à trouver, mais il y a beaucoup d'inconvénients...