Lettre 6

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29 septembre 2020

Gaby, Gaby, Gaby...
La formule me dit quelque-chose. Si ça se trouve, j'ai déjà commencé une lettre comme ça. La deuxième, peut-être ?
"Gaby, Gaby, Gaby,
J'ai compris, qui te cherche te trouve"
Ou quelque chose d'autre, je ne sais pas. La clé est trop loin.

Il doit être beau, ton dessin. Je l'imagine, je le vois sans le voir. La lune et sa face cachée qui brille, brille, brille parce qu'elle veut avoir sa place près du soleil, les nuages arc-en-ciels dans le ciel changeant de tes saisons de poètes. Bien sûr que j'ai compris. Je te comprends toujours.

Mais quand je pense à nos dessins, je me sens bizarre. Coupable en fait. Parce que moi, je suis égoïste, égocentrique. Je pense qu'à moi. Et toi, t'es là, tu penses aux autres en premier. T'es gentille, tu t'intéresses aux gens, toi.
Même quand tu te sens coupable, c'est par rapport aux autres. Mais dis, tu te sens vraiment coupable de la manière dont je te vois ? Tu ne devrais pas. C'est de ma faute. Quand tu es perdue, ça fait du bien d'avoir quelqu'un à idéaliser. J'ai pas pensé que ça pourrait t'affecter. Encore une fois, j'ai été égoïste, et je t'ai fait du mal sans même m'en apercevoir. Je suis désolée. Parce qu'en plus, j'ai vu que t'allais pas bien, mais j'ai préféré l'ignorer. Puis, même si je ne l'avais pas senti dans je ne sais même pas trop quoi en fait, même si tes lettres ne me suffisaient pas pour le dire, j'aurais pu le savoir. Je veux dire, sauf erreur de ma part, il faut quand même été sacrément seule pour envoyer une bouteille à la mer.
Et pour y répondre ? Probablement autant.

Dire que je voulais éviter le sujet, attendre un peu, disgresser. J'ai mis les pieds dans le plat, quitte à me noyer dans la soupe.
Mais tu sais, maintenant que je suis partie dans cette humeur étrange, faut que je te dise, tu sais, tu peux tout me dire, et je serai toujours là pour toi, même si je suis pas douée avec les gens, j'préfère carrément les étoiles.

Et comment repartir sur une lettre aussi légère que d'habitude, maintenant ? J'ai cassé le barrage, et la rivière en même temps.

Et si je recommençais, sur une nouvelle feuille, sans parler des sujets qui fâchent ? Juste repartir sur de nouvelles bases. De toute façon, je suis douée pour me voiler la face.

Tu peux prendre en compte cette feuille dans ta réponse, ou l'ignorer. Comme tu veux. C'est ton choix, et je te suivrai.

Lune,
Sage et disciplinée,
Et qui sort déjà une nouvelle feuille pour recommencer.

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Gaby, Gaby, Gaby...

Ça se voit dans tes mots, que t'aimes les cours de français. Que t'aimes les cours en général (enfin, à part l'histoire-géo et la physique-chimie). Tu aimes apprendre, je ne sais pas si tu aimes l'école. Peut-être. Ça ne m'étonnerait pas.

Moi, j'aime pas l'école. J'aime pas les cours. J'aime pas les profs. J'aime pas les gens. J'aime pas grand-chose en fait.
J'aime pas l'école, parce qu'on nous explique pas pourquoi 1 et 1 font pas 3, pourquoi il y a des gens qui voient le soleil partout et d'autres qui voient que la pluie, pourquoi un jour tout va bien et le lendemain tout s'effondre, pourquoi on juge les gens qu'à ce qu'on voit, pourquoi il y en a qui arrivent à voir les moutons dans les boîtes en carton et les autres non, pourquoi quand on marche dehors tout est triste, pourquoi on trouve jamais les étoiles dont on a besoin dans notre entourage mais dans une bouteille à la mer, pourquoi les gens sont cons, pourquoi les enfants doivent écouter les adultes sans discuter même quand ils ont tort, pourquoi personne comprend, pourquoi personne cherche à comprendre. Moi, je m'en fous des hyperboles, que ce soit des maths ou du français. Moi, ce que je veux, c'est comprendre pourquoi.

Emma, j'ai bien envie d'aller la voir. Mais j'ose pas. Qu'est-ce que les autres vont penser ? Qu'est-ce qu'elle va penser ? Et si elle pensait que je me moquais d'elle? Et si elle me prenait pour une idiote pas capable de voir plus loin que le bout de son nez (elle n'aurait pas forcément tort) ? Et si, et si, et si ?
Je fais quelques pas vers elle, encore quelques mètres nous séparent, les questions se bousculent dans ma tête, et je repars précipitamment.
Je ne sais pas si elle a remarqué mon manège. J'espère. J'espère pas. Elle me perturbe, Emma.

C'est toi qui parlait de lettres longues ? C'est peut-être qu'une impression, mais je crois que c'est la plus longue que j'ai écrite. Ou du moins, celle qui m'a le plus épuisée, la faute à trop de choses qui se bousculent dans ma tête.

D'une lune, deux coups.

P-S : je t'aurai bien envoyé un carré de chocolat, mais il va y en avoir plein la lettre donc c'est pas pratique.

P-P-S : je peux pas te battre là, trop de P-S et pas assez d'inspiration. Et trop de fatigue aussi.

P-P-P-S: Brouette
( je voulais quand même rajouter un troisième P-S, mais je savais pas quoi faire) (j'espère que t'as compris)

La lune rêve aussiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant