Chapitre 2

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Perdu dans le tumulte assourdissant des songes qui inondaient son esprit, Ruben n'avait pas bougé. Paralysé, figé – devenu, aussi brusquement que soudainement, une statue de béton à jamais prisonnière du sol auquel étaient enchaînés ses pieds. C'était à peine s'il osait respirer. La peur filtrait dans ses veines comme un irrémédiable poison. Accélérant son métabolisme, tout en lui donnant l'impression d'arrêter le temps. Sa main, pâle, tremblante, demeurait vainement accrochée à la poignée de la porte, que ses doigts osaient à peine serrer. Il déplorait sa propre inaction, sans être pour autant capable de se libérer de sa rassurante étreinte. N'était-il pas plus avisé de tourner les talons, se cacher comme quelque voleur dans les buissons afin d'appeler la police en toute discrétion ? Ou encore de filer comme le vent à la recherche de son père – qui ne serait sans aucun doute pas très difficile à trouver, tant son parcours dans l'hypermarché était savamment réglé. Oui... Carlos saurait forcément quoi faire. Carlos savait toujours quoi faire, n'est-ce-pas ? Même face à un cambriolage... ou ce qui semblait en tout cas en être un. Mais qui Diable pouvait avoir perdu l'esprit au point de cambrioler une minuscule maison de banlieue à l'aspect si ouvertement négligé ? L'extrême pauvreté pouvait changer le désespoir en folie aveugle, ce n'était point pour lui qui l'avait autrefois connue un secret. Néanmoins, cela ne changeait absolument rien à sa situation et moins encore au fait qu'il y avait encore quelqu'un de potentiellement armé et de dangereux au sein de ces murs... ou pas.

Après réflexion, il avait beau tendre l'oreille, pas même le plus inaudible des sons ne vint caresser son tympan. Rien. Alors, quoi ? Etait-ce quelqu'un de si professionnel qu'il était capable de ne pas faire l'ombre d'un bruit ? Dans ce cas, quel genre de professionnel pouvait s'offrir une si incroyable discrétion tout en ayant l'innommable bêtise de laisser portes et fenêtres ouvertes ? Trop de questions s'accumulaient, toutes dépourvues de tout élément de réponse.

Son regard chuta vers le sol, las.

Là, au milieu d'un familier masque de fourrure noire et blanche, il croisa un regard. Pétillant de vie et de ce qu'il devinait être un soupçon de juvénile malice, malgré les années passées.

- Lancelot... !

Le Border Collie se redressa brusquement sur ses pattes, s'élançant à toute vitesse dans les escaliers en poussant d'étranges aboiements. Il semblait miraculeusement débarrassé de la fébrilité qui commençait pourtant petit à petit à paralyser son arrière-train. Sans voix, Ruben suivit du regard la dodue silhouette du chien jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue. Perdu dans une fièvre que l'angoisse avait déclenchée, il entendit comme dans un rêve l'agréable cliquetis des griffes de son adoré compagnon sur le plancher de l'étage. Il entendit ce léger dérapage qui lui signifiait toujours que l'animal se dirigeait vers sa chambre dans son usuel petit trot. Son cœur rata un battement. La moquette de sa chambre, évidemment, absorbait la grande majorité des sons que les courtes pattes de Lancelot pouvaient produire. Mais ce qu'il entendit alors, la moquette n'avait pas pu l'absorber. Il entendit des couinements – suivis par un bruit sourd de quelque chose qui s'écroule sur le sol, inerte. Quelque chose comme un Border Collie de vingt-cinq kilogrammes.

Le silence, à nouveau, imprégna la maison toute entière.

Dans le cœur et la tête de Ruben ? Un concert de percussions erratiques avec son chœur aux voix désordonnées, hurlant leur angoisse et leur terreur, le tout donnant un sérieux avant-goût de ce que doit être l'ambiance musicale en Enfer. Puis, les chassant de quelques bourrasques grandioses, vint le mistral Courage. Les voix sans crier gare se turent, les battements de son cœur s'apaisèrent. Il ouvrit la porte, scrupuleusement, s'assurant de ne pas faire grincer les gonds fatigués de l'ancêtre. L'instant qui suivit, sa relativement large stature s'infiltra à l'intérieur de cette maison qui lui semblait tout à coup étrangère. Il monta les escaliers en gardant une main ferme sur la rambarde. Ses pas, assurés mais discrets, s'arrêtèrent face à sa chambre. Il prit une profonde inspiration... avant d'entrer. Sans faire de bruit, ou presque – se rendant compte, maintenant qu'il était trop tard, qu'il aurait définitivement dû appeler la police.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 03, 2020 ⏰

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