Chapitre 1 - Sinistre Départ

2.4K 74 4
                                    

Trente et une nuits que je marchais dans ces montagnes rocailleuses. Un mois de souffrance, de pieds écorchés, de faim, de fatigue, de peur. Les Illusionnistes avaient attaqué Drenya et fait de la ville un véritable bûcher. Sans pitié pour les civils, ils avaient tué, violé, torturé la population. Nous étions une vingtaine à avoir réussi à nous sauver des soldats. La plupart d'entre nous voulaient rejoindre l'île des kappas, au sud d'Eldarya, tandis que quelques autres allaient à l'est, dans les campagnes, retrouver leur famille. J'étais la seule à m'enfuir tout au Nord, un endroit peu connu de nous autres, Drenyens. La cité d'Eel, dirigé par la princesse Miiko, était très loin mais m'attirait particulièrement ; j'avais entendu dire que tout le monde y était admis, que la discrimination n'existait pas et qu'on y vivait tous heureux. Seulement, pour mériter cette cité d'Eel, il fallait traverser le désert du Bokass, s'aventurer dans les montagnes Concassantes et terminer par la Forêt Sauvage ; c'était du moins la direction terrestre. J'aurais tout aussi pu voyager par la mer, mais l'océan m'effrayait. Je n'avais jamais appris à nager. Le périple était extraordinairement dangereux, et seuls quelques rares téméraires osaient l'essayer.

J'escaladais donc les montagnes Concassantes ; la nuit j'avançais, frémissant, écoutant les crissements des petits cailloux secs qui s'enfonçaient dans ma chair. Le jour, je trouvais un endroit frais et sombre pour me reposer. Je buvais dans une gourde en peau de Corko et mangeais ce que je trouvais. Et quand je n'avais ni à boire, ni à manger, je me roulais en boule et tentait d'ignorer les plaintes déchirantes que poussait mon estomac.

Une nuit pourtant, je trouvai pour la première fois depuis des semaines un chalet en bois perdu au milieu des rochers. Une douce chaleur en émanait, et je frissonnais ; je n'aimais pas la chaleur, elle contrastait anormalement avec le climat glacé de ces montagnes. Aussi, les lumières étaient allumées, et me perforaient les yeux par leur intensité. Cela faisait si longtemps que j'avais refusé de regarder le jour que mes pupilles n'étaient plus habituées, elles qui voyaient mieux dans le calme et la sérénité de l'obscurité que dans la brutalité et la violence du feu.

Mais malgré cette chaleur et cette lumière repoussante, j'avais besoin de sortir de la solitude, de parler à quelqu'un, de me reposer, et surtout, de remplir mon ventre. Je m'approchai donc à pas de loup et frappai timidement à la porte en bois. Une petite voix dans ma tête me disait de faire confiance à cette petite maison perdue ; et elle avait raison. Une minute plus tard, une vieille femme ouvrit la porte et écarquilla les yeux en me voyant tandis que je fermais les miens, la lumière m'agressant violemment.

- Dieu du ciel ! Une Femme de la Nuit ! Jackson, viens voir ! s'exclama-t-elle.

« Jackson » ? La femme n'était donc pas seule ? Je ne sentais pourtant aucune présence humanoïde. La méfiance m'envahit. Un Illusionniste ?

Mais Jackson n'était pas un homme : c'était un robuste  Crockdur, un Familier ressemblant à un Rottweiler terrien. Celui-ci vint me renifler avant de m'adresser un coup de langue baveux. Après un regard entendu avec sa maîtresse, il m'aboya dessus, signifiant certainement que je pouvais entrer.

La maison était vieillotte mais bien entretenue. Là un petit salon, et trois petits rideaux qui dissimulaient sûrement d'autres pièces. La vieille femme m'invita à m'asseoir sur un fauteuil en cuir puis me jaugea du regard. Finalement, alors que je commençais à m'habituer à la luminosité, elle me demanda, méfiante :

- Que voulez-vous ?

Je la scrutai. Petite, assez maigre malgré un visage rond, des grands yeux marrons très doux et quelques mèches blanches ; elle n'avait rien de particulier. Elle était des plus banales. Trop banale. Presque humaine.

Je répondis doucement. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas parlé que ma voix était enrouée. Je mis quelque temps à pouvoir émettre une phrase digne de ce nom.

Illusoire [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant