1,le destin

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2 mars 2014. Paris. 04 heures du matin.

De nuit, la capitale ressemblait à une vaste fourmilière. Malgré le froid polaire qui s'y était installé, la populace se donnait rendez-vous à chaque coin de rue. Les friqués d'un côté, les chômeurs de l'autre. Entre les deux, les sans-abris. On ne mélangeait pas les genres à Paris. Le brouhaha des voitures ne cessait jamais. La célèbre et rabâchée tour Eiffel clignotait aux couleurs de saison. Les lumières de la ville donnaient un air continuellement festif aux grands lieux de rassemblement, mais en fait, c'est l'obscurité qui faisait sortir les rats. La place de la Concorde n'était pas épargnée. Des dizaines de jeunes avaient pris d'assaut l'esplanade réputée. On y entendait de la musique, des rires, des cris. Difficile de faire le tri dans tout ça. Des sirènes de police hurlaient. Ou c'étaient peut-être les pompiers.

Une fois n'est pas coutume, Ken arpentait le fameux pont de cette même Concorde, casque sur les oreilles, relié à son IPod. Loin de la foule et de l'excitation. Loin de l'insuffisance. Dans ces moments-là, où il était seul au monde, il écrivait des chansons dans sa tête, inspiré par la musique. Pourtant, il était loin d'incarner un solitaire vagabond, d'ailleurs, il venait de faire la fête avec ses amis, mais quelques fois, il avait besoin de se sentir individuel. Et par chance, le pont était désert. Emmitouflé dans sa grosse parka noire et son bas de survêtement de la même couleur, il marchait d'un pas lent, la tête parmi les étoiles. La lune se reflétait dans la Seine. Une certaine humidité lui collait à la peau. C'était une belle nuit.

Plus il avançait vers l'autre côté du pont, plus il se rapprochait d'une silhouette. Il, ou elle, était arrêté au beau milieu de la passerelle, un chien en laisse, et semblait scruter le fond de l'eau avec insistance. Il fit quelques pas en sa direction et pu voir que l'inconnu se cachait sous une large capuche et portait des habits sombres. Le chien, un énorme Pitbull couleur caramel, tourna sa grosse gueule vers lui. Il allait les dépasser, mais vu la mine renfrognée du molosse, il bifurqua sur la route pour éviter de les croiser de trop près. Puis il continua son chemin. Mais quelque chose d'inéluctable le poussa à s'arrêter. La petite voix dans sa tête lui intimait de ne pas continuer sans s'y intéresser davantage. Sans comprendre pourquoi il devait le faire, il fit demi-tour et s'approcha du duo.

-Salut ! Dit-il d'une voix enjouée. Faut pas sauter hein !

La réaction de l'étranger fut instantanée. Il tourna la tête vers lui et le fixa.

Et là, le temps se figea. La terre cessa de tourner. Une boucle spatio-temporelle s'ouvrit et Ken fut projeté à l'intérieur. Il se retrouva face aux plus beaux yeux qu'il n'ait jamais vus de toute sa courte vie. Des billes couleur vertes, ou bleues, un arc-en-ciel de nuances, rehaussées de longs cils noirs épais, au milieu d'une paire de mirettes digne d'un félin. Le reste de son visage était tout aussi impressionnant de perfection. Bouche bée, il eut le choc de sa vie.

Pas tant, car l'inconnue représentait à elle seule le summum de la beauté et qu'il ne s'attendait pas à recevoir une telle gifle, mais plutôt, car une tristesse infinie se lisait dans ses yeux. Il fallait qu'il réagisse, surtout que son cerbère commençait à grogner.

- Non parce qu'en plus, de cette hauteur, tu risques juste de prendre froid. L'eau est gelée.

C'était sûrement la réplique la plus naze de toute l'histoire des répliques, mais il l'avait bel et bien sortie. Cependant, le regard mélancolique et méfiant de la jeune femme changea alors et se teinta de curiosité. Ken passa très vite sa tenue au radar. Pas de logo évident, des baskets bon marché, et une veste usée. Elle s'accouda au rebord, avec une nonchalance inimaginable, visiblement captivée par le Parisien.

L'AME SOEUROù les histoires vivent. Découvrez maintenant