Chapitre 5

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Éléna

Je traverse la pelouse devant le lycée afin de rejoindre la cafétéria. Le temps est pluvieux, mais cela ne m'empêche pas d'apercevoir une silhouette qui a le don de me statufier sur place. Tout à coup, toute une pile d'images se juxtapose devant mes yeux horrifiés. Tout ce pour quoi je suis venue ici me revient en pleine face à cette seule vue.
Me sentant suffoquer, mes jambes deviennent flageolantes et je commence à me sentir vaseuse tandis que ma tête ne cesse de tourner. L'ombre noire se rapproche aussitôt de moi, mais une main se pose à cet instant sur mon épaule. En retenant un cri, je me tourne et tombe sur ce gars, beau à en tomber.
Je l'observe, fascinée, avant de me souvenir de l'homme derrière moi. Je le repère tout de suite, telle la présence subsistante à laquelle j’étais persuadée de ne plus avoir besoin.

— Ce mec te pose problème ? M'interroge ce garçon, beau comme pas permis, découvrant pour la première fois le timbre profond de sa voix.
— Non, réponds-je simplement en reprenant mes esprits face à ce mec capable, semble-t-il, d'embrouiller mes pensées les plus rationnelles.

En réalisant notre proximité, je m'écarte brusquement de lui en me sentant beaucoup trop exposée, et sans doute, mise à nue face à la panique qui venait de me submerger.

— Désolé, je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, s'excuse-t-il face à mon comportement plus qu'étrange.

Me contentant de l'observer une dernière fois, je lui tourne le dos sans même prendre le temps de m'épancher un minimum sur ma réaction. Ce mec pue les problèmes à plein nez. Le fait qu'il porte un cuir aux écussons prouvant qu'il fait partie d'un club de motards me suffit à ne pas vouloir le laisser approcher de moi. Je ne suis pas idiote à ce point.
Arrivée devant la cafèt', je jette un œil à la présence, toujours en place sur le parking du bahut, mais un peu plus à l'écart. En ouvrant la porte de la petite bâtisse, je regarde furtivement le mec venu à mon secours. Il se tient au même endroit les yeux fixés sur moi, les sourcils froncés. Ce simple regard se répercute en moi d'une façon si particulière que je perçois, pour la première fois, une telle intensité envahir mon corps.
Déstabilisée, je déglutis tout en pénétrant à l'intérieur de la pièce bondée afin de choisir une quelconque gourmandise à manger à l'un des nombreux distributeurs présents. La colère reprenant le dessus, je sors aussitôt le téléphone portable prépayé et appuie sur la touche deux. La une étant consacrée à l'ultime urgence. Quelques tonalités plus tard, ma tante décroche.

— Léna ? Un problème ? s'inquiète-t-elle d'emblée.
— Si tu me dis que mon père me fait garder même ici, alors peut-être.

Son soupir me parvient, puis le bruit de mouvements.

— Une seconde, je file dans la salle d'attente, m'apprend-elle dans l’espoir de trouver un endroit calme pour me parler.

Après une trentaine de secondes, elle reprend la ligne, tandis que j'observe le garçon au blouson de cuir prendre place sur une des tables présentes sous un préau, à l'abri du mauvais temps, et jeter des coups d’œil à l'homme de mon père. Je prie pour qu'il arrête ça avant de se causer des problèmes. Et à moi aussi par la même occasion.

— Éléna, venir vivre ici ne veut pas dire que tu n'es plus la fille de ton père, dit-elle. Partout où tu iras, il te fera surveiller et je le comprends mieux que quiconque.
— Tu plaisantes ?! Comment veux-tu que j'aille mieux s'il y a toujours quelque chose, ou plus particulièrement quelqu'un, pour me refaire penser à ce que je tente si désespérément d’oublier ?
— Je comprends. Crois-moi quand je te dis combien je peux saisir ton inquiétude, mais n'oublie pas qu'en tous lieux où tu te rends, le danger est réel. Que tu aies quitté la Russie pour les États-Unis ne signe pas la fin de nos problèmes. Tu le sais bien. Nous serons toujours des Bolgarov, Léna chérie. Les frontières n'ont pas de barrières dans notre milieu et même en fuyant aussi loin que tu le puisses, il y aura systématiquement un réseau de rivaux prêts à te tomber dessus.
— Tu veux dire que durant tous les voyages que tu as entrepris en filant du pays après la perte de ta sœur, tu étais sous escorte ?
— Bien sûr, Léna. On n'échappe pas à ce que nous sommes vraiment. Bien que cela m'était détestable, j'ai dû prendre sur moi et continuer ma vie en faisant semblant qu'ils n'étaient pas là, et je te demande de le faire aussi. Ça a marché pour moi. Ils m'ont laissé faire ma vie comme je l'entendais, et il en sera de même pour toi.
— Avec mon père ?! Jamais Ina, ça aussi tu le sais bien.
— Tiens-lui tête lorsque tu penses qu'il pousse le bouchon un peu trop loin, mais pour le reste je suis désolée de te dire que tu n'y échapperas pas. Mais enfin, Léna, à quoi t'attendais-tu ?
— Je ne sais pas. Tout ce que tu me dis est tellement logique, mais une part en moi croyait réellement avoir droit à cette liberté à laquelle je rêve tant...
— Mais tu l'as ! Regarde autour de toi, es-tu entourée d'une garde ? Empiètent-ils sur ton espace ? Tu vois, il te suffit d'occulter le fait qu'à une centaine de mètres, quelqu'un est là pour te porter secours si danger il y a. Crois-moi, la liberté a un prix, et celui-là n'est rien comparé à ce que tu as été habituée à avoir. Fais-toi une raison, ma chérie.
— J'essaie Ina, j'essaie.
— Tu verras, d'ici quelques jours tu seras passée au-dessus de ça. Tu comprendras que tu es libre de faire ta vie comme cela te chante dans la limite du raisonnable.
— J'ai changé de nom, et les gens malintentionnés vont forcément se poser des questions en apercevant toujours quelqu'un dans les parages. S'ils font des recherches, ils commenceront à fouiner parmi tous les élèves de mon lycée et tomberont obligatoirement sur moi. Ils attirent l'attention, Ina. Je n'en ai vu qu'un, mais je suis sûre qu'il y en a d'autres.
— Tu n'en as repéré qu'un sur trois, c'est pas mal, non ? Je vais leur en toucher un mot afin qu'ils soient davantage discrets, mais ne fais rien qui puisse les faire reprendre un poste rapproché.
— Bon sang, ne me porte pas la poisse. En plus, il ne passe pas inaperçu. Il a une bonne tête de russe.
— Quoi ?! s'esclaffe-t-elle à l'autre bout de la ligne.
— Bah, tu sais quoi, la norme : peau blanche, mâchoire forte et carrée, regard gris glacé voir perçant... un Russe quoi ! Et qui est la nouvelle qui parle avec un fort accent de Russie ? Moi ! Tu vois, vite démasquée. Il faut vraiment être crétin pour ne pas faire le rapprochement.
— Message reçu cinq sur cinq. Je leur passe un coup de fil pour qu'ils se camouflent mieux que ça.
— Si je dois être protégée, passer inaperçu est la base, et là, ce n'est clairement pas le cas, Ina.
— Je suis d'accord. Je m'en charge, dit-elle avant de couper la communication.

Hell's bikers T.6 - Kako (Sous Contrat D'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant