Elias, à peine cinq ans, ne comprend pas pourquoi de grands moustachus lui hurlent dessus avec des mots inconnus, dans cet endroit inconnu. Il ne sait pas non plus pourquoi son papa n'est pas là, avec lui, pour le rassurer et lui dire que tout va bien, même si ce n'est pas le cas...
Il ne connait pas tous ces gens qu'il voit du matin au soir, habillés comme lui et n'ayant plus de cheveux. Elias est perdu ; il pleure, pleure à ne plus pouvoir respirer, pleure l'absence de son père et la disparition de tout ce qu'il connaissait. Il essuie tant bien que mal ses yeux fatigués avec ses petites mains d'enfant et essaye de se réveiller, de se réveiller de ce méchant cauchemar ; alors il se pince comme lui avait appris David, son père. Il se pince si fort que ses ongles s'impriment dans sa peau et la transpercent sans la moindre difficulté. Le sang se mêle à la boue ; et Elias, désespéré, continue de pleurer.
A l'opposé du camp d'Auschwitz Birkenau, en train de construire un baraquement, David hurle le prénom de son fils. Il essaye de faire porter sa voix au-dessus de tous les bruits ambiants, au-dessus de tous ces cris et de tous ces pleurs. David élève seul son fils depuis que sa femme, Katherine, une anglaise qu'il avait rencontrée lors de son voyage à Londres, est partie au ciel. Penser à elle lui fait un mal de chien, même au bout de quatre longues années. Il l'aimait tellement... Tout ce qu'il lui restait d'elle était Elias, est Elias. « Est » ou « était » ? Il ne sait même plus... David aimerait pouvoir lâcher prise, se laisser tomber à terre, et se laisser mourir. Car la mort semble une douce délivrance face à la « vie » dans cet endroit. Seulement il ne peut pas. Il doit se battre. Se battre pour son petit garçon. Son petit garçon, seul dans cet immense enfer.
Jeanne ne tient plus debout, ses jambes sont en train de se liquéfier. Son être entier est en train de sombrer. Sa sœur, Rachel, est une éternelle optimiste. Elle dit que la France découvrira bientôt ce que les nazis leur font et qu'elles pourront bientôt rentrer à la maison. Jeanne ne demande qu'à y croire. Seulement, cette dernière a perdu espoir.
Elle se remémore sans relâche la nuit où tout a basculé. La France était devenue partiellement allemande et Paris était le siège de cette occupation. Plusieurs mois auparavant elle avait dû arborer une étoile jaune partout où elle allait. Cela la rendait malade, surtout que cette religion n'a jamais eu de sens pour elle. Jeanne est certes née dans une famille juive mais ses parents sont morts alors que Rachel n'avait que six mois. Elle a donc été élevée avec sa sœur comme une chrétienne chez leur tante. A sa majorité, Jeanne s'est installée dans une jolie maison en banlieue avec son fiancé, Emile. Un homme d'une infinie tendresse qui est mort en essayant d'empêcher la Gestapo d'entrer dans l'appartement où se cachaient les deux sœurs. A ce moment-là, Jeanne a perdu tout espoir et toute envie de vivre.
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Auschwitz Birkenau, berceau de tous les fardeaux
Short Story3 humains 1 homme 1 femme 1 enfant 3 prisonniers d'Auschwitz Birkenau