Une simple journée

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Minuit.

Je suis en pleine conversation avec un de mes amis. Il dort chez moi ce soir. Nous parlons de tout et de rien, de jeux vidéos en passant par la politique et en continuant vers les films et séries. Ce sont des moments simples mais que j'adore partager avec lui...

1 heure.

En piochant dans une chips, je le regarde dans les yeux. Ça fait des années que je le connais, je n'ai pas assez de doigts pour l'llustrer. Je l'ai connu avant même de savoir parler... Tellement d'années qu'on se comprend en un regard. Et son regard complice ne me trompe pas. Je lui lance un sourire espiègle en réponse, ce qui sonne le signal pour nous, et nous nous préparons à sortir de mon appartement.

2 heures.

On explose de rire devant le regard confus de Thomas qui rentre chez lui, bourré. Il vient de s'apercevoir qu'on avait mis de la farine sur son vélo. Très stupide et enfantin, mais on marche comme ça entre nous. On connaît Thomas depuis quatre ans maintenant, il a fini par s'habituer à notre humour décalé. Néanmoins, comme l'alcool réside dans son cerveau, il n'a pas l'air de comprendre la situation, et demande dans le vide :
« qui a peint mon vélo en blanc ? » ce qui accentue notre fou-rire. Nous sortons de derrière les buissons et nous assumons notre crime, sans avouer qu'en réalité ce n'est que de la farine. Quand il nous demande pourquoi on répond simplement  « c'était drôle » et il a l'air d'accepter cette réponse. L'alcool le rend moins difficile... Demain sera une journée marrante, on lui montrera l'enregistrement audio qu'on a fait de lui, quand il parlait tout seul en voyant son vélo, et on rira tous les trois.

3 heures.

Un seul bruit,  « BOUM ».
Du sang, beaucoup de sang.

4 heures.

Tu es à l'hôpital, on t'a pris en charge. Je n'ai pas eu le temps de comprendre la situation. Je suis dans la salle d'attente, et j'attends qu'ils m'autorisent à entrer... J'ai peur, car je ne sais pas ce que tu es devenu. J'espère que tout va bien pour toi...

5 heures.

Cerné par la fatigue et l'inquiétude, une infirmière vient enfin me voir pour me dire de la suivre. Elle m'informe au passage que tu es tombé dans le coma, et que tu es passé à un doigt de la mort... Elle ne me le dit bien sûr pas de manière aussi abrupte, mais c'est bien ce qu'elle a voulu dire... Et si elle n'a pas osé me le dire, je crois qu'ils ne sont pas sûrs que tu t'en remettras complètement...

6 heures.

Ça fait une heure que je suis à tes côtés. Je n'aime pas te voir avec tous ces bandages dans ce lit d'hôpital. C'était une soirée des plus banales, qui a viré au drame... Nous n'aurions pas dû faire cette blague à Thomas. Tout aurait été plus simple si nous étions restés chez moi à jouer et regarder des films... Tout aurait été plus simple si j'avais été plus adulte...
Je somnole un peu, presque comme toi. Même si tu sembles dormir, je sais bien au fond que ce n'est pas le cas. Mais j'aurais aimé me convaincre du contraire... Cette perspective m'empêche de dormir réellement, j'ai la boule au ventre.

7 heures.

Tes parents viennent d'arriver. Je me suis éclipsé pour leur laisser un peu d'intimité. Je n'ai pas osé les regarder en face. On m'a dit plusieurs fois que je n'y étais pour rien, mais je ne peux m'empêcher de me sentir coupable. Si nous étions resté chez moi, rien de tout cela ne serait jamais arrivé, et tu rirais encore maintenant à mes côtés.
Je ne sais même pas si tu riras un jour de nouveau...

8 heures.

J'ai envoyé un message à Thomas. Il ne va pas tarder à te rendre visite, lui aussi. Mais dans deux heures, les visites te seront interdites quelques temps, ils veulent faire quelques opérations et tests... J'espère qu'ils seront concluants. Si jamais tu revenais parmi nous, je te promets de faire plus attention à toi. Je me rends à présent compte que je n'étais pas toujours assez présent pour toi. Je te demande pardon pour ça...

9 heures.

Thomas est arrivé il y a une demie heure, et il discute avec tes parents... Ils sont tous très tristes. Je rumine encore. Tes parents m'ont souris de manière encourageante, comme pour me dire qu'ils ne m'en tenaient pas rigueur et qu'ils me comprenaient. Mais j'ai vu tant de souffrance à travers ce sourire que ça m'a brisé le cœur et m'a fait d'autant plus culpabiliser. Je te promets de t'acheter ce jeu pour lequel tes yeux brillaient devant la vitrine si tu te réveilles. Et tu me promets que tu te réveilleras, hein...? Comment je vais faire, sans toi...?

10 heures.

Nous sommes tous les quatre sortis de l'hôpital. Tes parents nous ont invité à manger, à Thomas et moi, mais j'ai décliné l'invitation. Je m'en veux trop pour ça.

11 heures.

J'erre dans la ville, sans trop savoir où je vais. Mes pas me guident vers le lieu de ton accident. La voiture a été déplacée, mais il reste quelques traces de ton sang... J'ai envie de vomir, et les larmes coulent abondamment sur mes joues. Une dame a l'air de me demander ce qui ne va pas, mais je me sens trop mal pour lui répondre. J'ai une migraine affreuse... J'ai besoin d'air... Tout est trouble... Tout est noir.

14 heures.

« Ah, vous vous êtes réveillé ?  » me demande une personne que je ne connais pas et que je peine à voir pour le moment.  « Vous avez fait une grosse hausse de tension, qui a provoqué votre malaise. Mais vous ne semblez pas souffrir d'hypertension, d'après les tests que nous vous avons fait faire.  » elle semble voir que je suis perdu puisqu'elle enchaîne :  « vous avez fait un malaise près d'un lieu où il y a eu un accident cette nuit. C'est une dame qui a appelé les secours. Tenez, buvez-ça. » me dit-elle en me tendant un verre d'eau. Je le bois et essaie de reprendre doucement mes esprits.  « Nous en avons conclu qu'il s'agissait d'un choc qui avait provoqué cette hausse tension, et donc de malaise. Vous manquiez beaucoup de sommeil, aussi c'est pour cela que vous avez tant mis de temps à vous réveiller. » j'hoche la tête doucement tandis que les événements me reviennent peu à peu en mémoire. « Dormez encore un peu, vous en avez besoin. Vous pourrez rentrer chez vous ce soir...  » j'hoche la tête et m'exécute. Peut-être que j'allais me réveiller après ma sieste et réaliser que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve... J'ai le droit de rêver après tout. Sans mauvais jeu de mot...

16 heures.

Mmgbbl... Dormir...

18 heures.

Je me réveille définitivement. J'observe le lieu attentivement. Je suis dans une chambre d'hôpital. Il semblerait que ce n'était pas un mauvais rêve... Je soupire à cette pensée. Je me lève du lit, et vois un petit mot sur ma table de chevet  « une fois réveillé, vous pouvez partir en ayant prévenu la réception. Bonne soirée à vous !  ». Mais je me décide à aller voir une dernière fois pour aujourd'hui mon meilleur ami avant de m'en aller définitivement. Je les préviendrai après ça.

19 heures.

Je sors de ta chambre, amer. Il faut que j'aille à la réception avant de partir... Si j'étais moins stupide, toi et moi ne serions pas dans cet hôpital...

20 heures.

Je suis arrivé chez moi. Tu n'habites pas avec moi, mais je sens malgré tout comme un vide depuis que tu es à l'hôpital. Tu égayais mon cœur de loin... Mais à présent tout semble vide et sans intérêt.

21 heures.

Je regarde distraitement la télé avec mon bol de soupe. Elle n'a pas de goût. Je ne sais pas si elle est mal cuisinée ou si c'est moi qui ne le sent plus...

22 heures.

J'ai reçu un message de l'hôpital, ils me disent d'y retourner au plus vite.
J'ai très peur de ce qu'ils vont m'annoncer.

23 heures.

J'arrive à l'hôpital, tes parents et Thomas sont déjà là.
Le médecin arrive et ne tient pas longtemps son air sérieux. Il nous annonce sans réussir à retenir son sourire que tu t'es réveillé, et je n'y arrive pas à y croire, mais les larmes de joie de tes parents me le font bien comprendre.
Et alors que j'ai vécu la journée la plus longue de ma vie, je m'autorise enfin à sourire, alors que nous courons vers ta chambre tandis que le médecin nous hurle derrière nous qu'il est interdit de courir dans les couloirs. Mais nous nous en fichons. Le cauchemar est enfin terminé...

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