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Alors que la nuit était à son paroxysme, sans plus aucune lumière en provenance du ciel ou du feu qui avait fini par s'éteindre, je sentis quelque chose m'attraper violemment, me réveillant en sursaut. Mais avant même que je puisse réaliser ce qui m'arrivait, je fus traîné avec force en arrière, dans les entrailles des Pyrénées, et m'assommai lorsque ma tête heurta un obstacle me faisant perdre connaissance. Mon corps se fit traîner sans ménagement. Mon esprit m'abandonna avant même que je puisse me demander ce qu'il m'arrivait. Je ne sentais ni ne percevais plus rien, comme si mon être s'était séparé de ma conscience et que celle-ci était partie flotter dans une sorte de néant dépourvu de lumière et de sensations.

Pour la plupart des êtres humains une telle chose serait effrayante à vivre, mais je n'étais plus capable d'éprouver la moindre sensation. Je me trouvais simplement dans le vide le plus total, incapable de quoi que ce soit. Dans cette situation, même le temps semblait ne plus exister. Aussi lorsque je revins enfin à moi il me sembla que seul un court laps de temps s'était écoulé, bien qu'il soit tout à fait possible que ce soit le contraire. Je repris le contrôle de mes membres avec le soulagement de sentir à nouveau les éléments physiques qui m'entouraient, mais le plaisir s'interrompit rapidement lorsque la douleur parcourant mon corps refit surface. Lancinante. Brûlante. Accompagnée d'un goût métallique dans la bouche. Je portai alors une main terreuse et engourdie à ma lèvre pour en découvrir la raison. Du sang. Beaucoup de sang. Je sentis dans ma poitrine mon cœur battre plus fort, rythme provoqué par la peur d'avoir d'autres blessures qui seraient peut-être plus graves. Inquiet, je tentai de bouger mes jambes, mais quelque chose les retint.

Avec mes mains j'essayai de défaire ces liens que je supposai, sans trop savoir pourquoi, être faits de corde ou de cuir.

Cependant dès que mes doigts entrèrent en contact avec mes entraves, un frisson glacé me parcourut l'échine, suivi d'un haut le cœur. Ça n'était ni l'un, ni l'autre, pas même des herbes tressées.

Il s'agissait de tendons.

De nature animale, sans doute. Je l'espérais en tout cas. Il fallait que ce soit ça.

Mais qui pouvait bien m'avoir emmené là et ligoté ? Qui ou quoi ? Ces questions et bien d'autres encore fusèrent dans mon esprit embrumé et paniqué, tandis que je me débattais comme une bête sauvage, déployant une force de tous les diables. Je devais partir. Vite. Quitter cet endroit maudit. Fuir le plus loin possible et tant pis pour les plantes que je devais ramener. Ma vie était plus importante. Je me tordais dans tous les sens, ondulant tel un serpent, pour m'extirper. Mes yeux écarquillés dans l'espoir d'y voir dans cette pénombre malsaine, parcourant l'espace autour de moi. Mes mains crispées tiraient, tordaient sans relâche ces immondes choses dans l'espoir de les desserrer assez pour que je puisse m'échapper. Mon souffle, rendu rauque par l'humidité des lieux et la peur, était précipité. Ma poitrine se soulevait et s'abaissait aussi vite que possible sans que je ne parvienne à emmagasiner assez d'air pour agir efficacement. Je respirais pour ne pas mourir. Je me débattais pour vivre. Rien d'autre ne comptait. Je ne me préoccupai ni de mon assaillant, ni du vacarme que je provoquai. Seul l'espoir de m'échapper comptait. Tout mon corps se dévouait à cette tâche vitale. Le temps semblait ralenti. L'air stagnant seulement perturbé par ma respiration. Je ne voulais pas abandonner. Si je le faisais, je savais que cela serait la signature de ma fin. De ma mort.

Cependant mon corps endolori finit par s'épuiser. Les muscles de mes bras et de mes jambes s'engourdissaient, me procurant un tiraillement douloureux. L'espoir et la combativité commençaient à m'abandonner, laissant place au désespoir et à la défaite. La résignation n'était pas loin. Je la sentais poindre, vicieuse, dans un coin de ma tête tel un couperet prêt à s'abattre au moindre signe. Il approchait. Pas à pas. Faisant reculer, secondes après secondes, ma volonté. Il était prêt. Aiguisé sur le fil pour tuer mes espoirs fous de vie. Son bras s'arma. Encore un instant et il s'abattrait sur moi. Mais le coup ne vint pas. Il s'était arrêté en pleine course lorsque je sentis dans un dernier soubresaut mes jambes céder sous la contrainte. Hébété et épuisé par l'effort mental et physique que je venais de fournir, je me relevai pour les observer, appuyé sur mes bras meurtris. Les tendons n'étaient pas rompus, ils semblaient plutôt s'être détendus, relâchant ainsi leur emprise. Fou de bonheur je m'extirpai d'eux avant de me relever précipitamment. Trop. Ma tête tourna et je dus m'appuyer contre la paroi froide et humide de la grotte, attendant que le vertige passe. Dès lors je pus observer mon environnement. D'après ce que je pus en juger je me trouvais dans une chambre plus vaste que l'entrée de la cavité où je m'étais installé, avec un plafond bas que je pouvais toucher en tendant le bras. En revanche je ne parvins pas à atteindre l'autre paroi bien que j'allongeai mes deux bras, une main en contact avec le mur qui m'avait servi d'appui. L'endroit était calme, mais l'atmosphère était lourde et l'air avait une saveur viciée. Je ne pouvais rester là plus longtemps. Je pris une profonde inspiration, secouai mes membres engourdis pour les détendre un peu et me décidai à enfin à avancer.

Une main toujours en contact avec le mur, tandis que l'autre balayait prudemment l'espace que je parcourais tel un aveugle. Un pas après l'autre, aussi vite que la discrétion me le permettait. J'avançai ainsi durant ce qui me sembla un temps interminable, sursautant au moindre bruit soudain. Je tentai autant que possible de me rassurer, argumentant pour moi-même sur le fait que ces mêmes bruits étaient probablement provoqués par un animal ayant élu domicile en ces lieux. Sans grand succès. Je poursuivis ainsi ma route, suivant toujours la paroi qui me servait de guide, changeant seulement de fil conducteur lorsqu'elle disparaissait, pour réapparaître un peu plus loin, déclenchant une nouvelle vague d'angoisse. J'ignorai dans quelle direction j'allai, si je m'approchais ou non de la sortie, dans ce dédale de calcaire. Mais je refusai de m'arrêter, trop effrayé à l'idée de ce qu'il pourrait m'arriver si je le faisais. Mieux valait ne pas y penser.

Cependant, plus je marchais et plus j'avais l'impression de ne pas avancer. Chacune de mes enjambées semblant ne servir à rien dans ma fuite. Je voulais courir, mais le sol inégal me convainc d'y renoncer. Une chute pouvait si vite arriver.

Brusquement, le contact avec la paroi de calcaire se rompit une nouvelle fois, faisant de nouveau pulser mon cœur. Je poursuivis néanmoins mon cheminement, déboussolé par l'absence de repères, agitant mes bras autour de moi pour tenter d'en retrouver un, tandis que mes pieds ne faisaient plus que des petits pas tâtonnants. La visibilité ne s'était guère améliorée, ne permettant une vision des choses qu'à un mètre de distance. Tous mes sens étaient sollicités. La vue, très limitée. Le toucher, ou plutôt l'absence de contact. L'ouïe par laquelle je tentai de déceler une menace ou un écho encourageant. L'odorat par lequel j'essayai de déterminer où l'air était le plus pur, pensant ainsi me diriger vers une sortie. Seul le goût ne m'apportait aucun secours, bien que de temps à autre je dardai ma langue à la manière d'un serpent pour détecter quelque chose, sans vraiment savoir quoi. Néanmoins je progressais. Centimètre par centimètre. Mètre après mètre. Le corps et l'esprit en alerte constante demandant une concentration de tous les instants.

J'étais si préoccupé de ne pas percevoir un danger que je me rendis compte trop tard que seul le vide accueillit mon pied lorsqu'il voulut se poser sur le sol.

Impuissant, je battis des bras tel un oisillon tombant de son nid, mais contrairement à lui je ne parvins pas à voleter, juste à tomber. L'air que ma poitrine avait bloqué en elle durant cette fraction de seconde se libéra brusquement, tandis que mon corps chutait dans le gouffre ouvert devant moi. Un cri d'effroi s'échappa de mes lèvres, mes yeux s'écarquillèrent encore plus, accueillant en leur sein la bourrasque venteuse que ma chute provoqua. Agitant bras et jambes, je tombai, aspiré par la montagne. L'air siffla à mes oreilles, le souffle provoqua l'apparition de larmes involontaires qui disparurent aussitôt.

La chute durait, paraissant interminable, au point qu'une folle pensée traversa mon esprit terrifié... Et si j'atteignais le cœur de la terre, les Enfers ? La crainte que la chute ne me tue, ou pire, que je termine ma course dans le brasier infernal, me privant ainsi du Salut éternel. Qu'une telle chose m'arrive me paraissait impossible, inconcevable. Cela ne se pouvait tout simplement pas. Je le refusais.

Tout ceci fusa dans ma tête avec la vélocité de l'éclair.

BétharramOù les histoires vivent. Découvrez maintenant