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J'avançais parmi les immenses arbres aux troncs épais avec toute la prudence qui s'imposait, pour ne pas me faire repérer par d'éventuels prédateurs et éviter de me faire happer par un de ces trous de montagne qu'on ne voyait souvent qu'une fois qu'il était trop tard. Tout ceci ralentissait considérablement ma progression, épuisant mes forces et jouant sur mon moral. Cela faisait déjà plusieurs jours que je crapahutais tant bien que mal dans cette immensité verte sans que je ne trouve ce qui m'avait conduit là. Si bien que je commençais à désespérer.

Tout avait pourtant commencé le plus normalement du monde, du moins pour mon époque, si je puis dire.

La guérisseuse m'avait demandé d'effectuer une commission pour elle, ne pouvant s'en charger à cause d'une naissance qui ne tarderait pas à arriver. Comment aurais-je pu dire non à cette femme qui, malgré son étrangeté, prenait soin de toute notre communauté à n'importe quel moment ? Impossible.

« Va dans la forêt, en son cœur près des racines de la montagne, là dans le cours d'un torrent mugissant, tu trouveras les huîtres amères. Ce sont des champignons semi-circulaires, dotés de lamelles, et ayant une sorte de poudre blanche sur le dessous. Ils ont un petit pied et une texture molle. Cependant prends garde, ils ne sont pas comestibles ! Une fois que tu auras atteint le cours d'eau, remonte-le jusqu'à atteindre une zone plus calme et étendue. Ils seront accrochés sur les souches d'un arbre mort qui trempe dedans. »

Pour le commun des mortels il aurait sans doute été impossible de mettre la main sur cet ingrédient, qui plus est avec si peu d'indices, mais pas pour moi. Enfin c'est ce que je pensais... Cependant il fallait bien admettre que la tâche n'était pas si facile que je l'avais cru.

Les jours s'étaient accumulés les uns après les autres, à tel point que j'avais fini par perdre la notion du temps et du nombre de jours passés dans cette forêt des Pyrénées, qui était devenue en quelque sorte mon Enfer vert personnel. Mon esprit perdait peu à peu pied. Des pensées étranges venaient le parasiter sans se soucier des conséquences ou de ma santé mentale. Il divaguait à sa guise dans l'espoir utopique d'échapper à cette terrible vérité qui ne demandait qu'à s'imposer.

Quoi de plus normal quand un homme se laisse diriger par ses parasites mentaux plutôt que par son savoir, son expérience et ses sens ?

Je m'étais ainsi dupé moi-même, avançant toujours plus, mon but oublié, jusqu'à ce qu'en faisant le chemin à l'envers je m'aperçoive trop tard de la situation dans laquelle je me trouvais.

J'étais perdu.

Quelle ironie pour un homme si habitué à arpenter ces sentiers forestiers !

Je me mis alors à marcher, en long, en large et en travers. D'abord lentement, prenant le temps d'observer autour de moi tout en veillant à rester sur la voie qui me semblait être la meilleure. Pourtant après plusieurs heures à tourner en rond, à moins que ça ne soit quelques dizaines de minutes, tout autour de moi finissait par se ressembler et c'est à peine si dans ma confusion je parvenais à différencier un arbre d'un autre sans avoir besoin de regarder leur feuillage. J'ai continué ainsi longtemps avant d'admettre ma défaite face à ma faiblesse. Il fallait que je m'arrête. Que je cesse d'avancer encore plus que je ne l'avais déjà fait car je risquais de bien trop m'enfoncer dans cette végétation et de ne plus réussir à retrouver mon chemin. De plus, la lumière baissait et, bien qu'il soit encore tôt, je n'y verrai bientôt plus grand chose. Il me fallait un abri pour la nuit et y attendre le lendemain. Heureusement je savais comment faire.

Dans cette région il valait mieux une protection de pierre plutôt qu'une faite de bois. Une crevasse pourrait convenir, mais une grotte serait idéale, surtout si elle n'était pas occupée !

Ayant retrouvé une seconde motivation je me mis à la recherche de signes pouvant m'indiquer le chemin à prendre pour mettre la main dessus. Chance pour moi, ce ne fut pas long à trouver, car bientôt j'aperçus des rochers de bonne taille, et ce, de plus en plus à mesure que je les suivais, tel le personnage du Petit Poucet dont l'histoire avait bercé mon enfance. Je continuais ainsi jusqu'à ce que les morceaux de pierres jonchant le sol deviennent si nombreux que même un aveugle n'aurait pu ignorer leur présence.

Je touchais au but.

Il se trouvait là, à quelques enjambées de l'endroit où je m'étais arrêté.

Difficile à distinguer, et pourtant à travers le treillis emmêlé de branches et de feuilles apparaissait un pan de montagne fait d'obscurité où la lumière peinait à filtrer. À n'en pas douter il s'agissait de l'entrée d'une grotte.

Je m'y précipitai avec enthousiasme, sans omettre de me saisir au passage d'un solide morceau de bois, jetai un coup d'œil par l'entrée, et ne voyant nul animal je me risquai à en franchir le seuil. Je ne fis que quelques pas à l'intérieur, à pas de loup, avant de demander d'une voix forte :

- Il y a quelqu'un ?

Drôle d'attitude quand on sait que les seules bêtes sauvages vivent dans ces montagnes. Néanmoins cela m'apprit deux choses. La première : que ce lieu était désert. L'autre, bien moins rassurante, était que cette cavité montagneuse était profonde. Très profonde. L'écho de ma voix résonna de longues secondes dans ces gorges calcaires, si bien qu'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'un son émis par elles. L'idée de passer la nuit ici ne m'enchantait pas vraiment, d'autant que ces tuyaux de calcaire pouvaient renfermer tout et n'importe quoi. Du plus inoffensif au plus mortel. Cependant il y avait un moyen de s'assurer à minima de l'absence de tout danger.

Le feu, ou plutôt la fumée.

Je partis donc ramasser autant de bois que possible, mais surtout de l'herbe et des feuillages que je poserai sur les flammes, produisant un maximum de fumée. Bien-sûr cela ne tuerait pas les éventuels occupants indésirables, mais ça les ferait fuir. Ce serait déjà ça de gagné ! Sans oublier que le feu me protègerait des prédateurs qui s'approcheraient un peu trop près de ma maison improvisée. De tout cet amas, j'en fis rapidement un feu dont l'épaisse fumée s'engouffra d'elle-même au cœur de la cavité. Dès que je fus certain que les flammes étaient assez vives, je grimpais dans un arbre pour observer en toute sécurité jusqu'à ce que j'estime que tout risque était écarté. Ce n'est qu'après cela que je descendis de mon refuge pour regagner la grotte où, après avoir grignoté et bu, je m'installai pour la nuit, aussi confortablement que possible sur le sol froid et humide qui me fit penser que j'aurais dû songer à garder de la végétation pour mon couchage. Je grelottai longtemps de froid et de fatigue, malgré le feu, recroquevillé sur moi-même dans l'espoir de conserver un peu de ma propre chaleur. Cependant je finis par sombrer dans un sommeil agité.

BétharramOù les histoires vivent. Découvrez maintenant