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Une illusion. Ça arrive dans les vapes.
Ce matin, alors qu'elle tremblait encore de fatigue, la petite fille avait ouvert un livre - un pavé, non, une brique - afin de s'adonner de nouveau comme autrefois à la lecture. Elle avait eu besoin de se changer les idées, d'occulter toute pensée parasite. En tournant frénétiquement les pages, quelque chose d'inattendu s'était alors produit, quelque chose de miraculeusement irréel. Un papillon aux ailes bleues nuits avait jailli hors du livre comme s'il eut été incrusté dans le grain même du papier. Elle avait tout juste eu le temps d'admirer ses motifs géométriques et sa couleur qui tendait vers le noir aux bords que l'insecte avait alors explosé. Littéralement, oui. Sa courte vie avait laissé un nuage de poussière en suspens. Il avait suffi qu'elle cligne des yeux pour que cet ensemble de particules retombe sur les pages, noircissant les lettres. Elle avait soufflé dessus puis éternué. Un peu plus et elle refaisait une crise d'allergie. Rien de bien méchant fort heureusement, elle vidait simplement des paquets entiers de mouchoirs dans ces cas-là, épongeant son nez qui coulait toujours plus.
Elle avait vu en rêve des cheveux la nuit dernière. Écarlates comme un feu ardant mais doux comme un coquelicot. Elle avait plongé ses doigts dedans, les laissant glisser au gré de ses humeurs. On aurait dit un ruban des satin tant ils étaient agréables à sentir. Elle s'était attardée aux pointes, souhaitant faire durer le moment. Des boucles délicieusement épaisses, voilà que dès la pensée formulée, ils prirent une consistance malléable. C'était des cheveux bouclés, adorablement pivoines. Des rubans qui se tordaient tout en préservant leur cohérence mélodieuse. Elle aurait volontiers étreint cette cascade qui retombait sur des épaules dénudées. Des épaules de satin d'une couleur crème. Elle les aurait inspirés pour en graver leur odeur délicate en elle. Elle revint à la raison, les cheveux, c'étaient désormais les siens. Ils étaient devenus de couleur naturelle, d'une rudesse de paille et avec toute la crasse qui s'en suivait.
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De retour dans le présent.
Elle rampa jusqu'à son lit. Elle allait sécher aujourd'hui, elle l'avait su dès l'instant où elle s'était réveillée ce matin, face contre table, un filet de salive coulant le long de son menton. Elle avait juré dans un murmure. Et ses exercices de la veille ? Et son examen à huit heures ? Elle avait alors levé sa tête lourde pour la laisser retomber, encore et encore. C'était la punition qu'elle méritait, même l'autre avait l'air de l'encourager. Boum. Elle était tombée sur le carrelage froid, cette fois, face contre terre. Pouvait-elle seulement se trouver plus bas ? Elle avait geignit, à bout de forces. Elle allait dormir, dormir et ne plus penser. Dormir pour oublier.
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On en reprend là où elle en fut un jour.
La masse flottante aux cheveux de feu s'était tournée vers la petite fille, l'avait dévisagée un instant, longtemps, peut être un peu stupéfaite de n'être pas seule dans cette pièce qui n'en était pas exactement une. C'était d'une blancheur immaculée aveuglante. Il n'y avait ni murs, ni portes. Elle avança vers la grande dame aux épaules laiteuses et lui parla. Rectification, elle baragouina, modela des sons qui ne voulaient rien dire mais qui toutefois, prenaient l'espace et le temps pour se disperser comme des vaguelettes. Les ondes traversèrent le corps de la destinatrice dont l'image comme une projection se mit à onduler. La dame ria aux éclats - du moins, c'est ce qu'on put en déduire dans cet univers aphone - et en une enjambée qui relevait plus de la téléportation qu'autre chose, elle se posta devant la petite fille, surplombant ainsi son petit corps agité.
Elle la recouvrit de ses bras et de ses cheveux défiant toute gravité pour l'envelopper. L'envelopper dans une grande bulle d'amour, mais sans pour autant la toucher. La petite fille sentit son parfum, une senteur de shampoing et de talc. Elle lui tendit ses petites mains, implora plus d'attention, plus de tendresse. Son esprit parut se fondre dans le corps de la dame et elle sentit la chaleur la parcourir en une course lente. Comme un chocolat chaud qui revigore les membres transi de froid, la petite fille était happée par cette couverture d'une douceur inouïe. Elle remercia la dame pour son attention si chaleureuse et sombra dans le sommeil. C'était d'ailleurs curieux de s'endormir dans un rêve.
La dame lui souffla comme un caresse des mots doux. Elle lui murmura des choses silencieuses mais que la petite fille comprit sans grand mal. Elle lui avait témoigné de son amour inconditionnel pour elle. La petite fille sourit alors dans son autre rêve, elle se sentait aimée. Elle se sentait au centre d'un intérêt qu'elle ne se souvenait plus d'avoir un jour eût. De toute évidence, elle aurait voulu pleurer de joie.
Encore plus... Plus encore d'amour... Des larmes roulèrent au coin de ses joues, des larmes invisibles. La petit fille se plia en deux, se recroquevilla, comme frigorifiée. C'était paradoxal bien évidemment, elle flottait dans cette bulle bouillante. Elle se replia à la manière d'un fœtus et savoura de n'être seule qu'avec elle-même et le monde. Elle se demanda si Dieu existait, s'il entendait les appels qu'on pouvait lui soumettre. Elle se le demanda et oublia ce à quoi elle pensait. Bientôt, elle fut arrachée à cette dimension utopique, on l'y extirpa de force.
Elle se débattit, tenta de crier, de hurler, rien n'y fit. Des bras gris et couverts de terre lui harponnèrent férocement la taille. Comment as-tu pu te réfugier ici ? Ils lui griffèrent la peau jusqu'au sang. Elle tenta des coups dans le vide, contre son agresseur, battit des jambes. On lui tira les cheveux qu'on avait attrapé en une poigne redoutable pour la traîner, la ramener dans sa chambre. Une petite fille qui désobéit doit être punie ! Je ne vais pas laisser t'en tirer, tu vas voir. On l'enferma dans sa chambre, à double tour, on lui intima le silence. Elle tambourina les murs, pria la dame de revenir la chercher, rien n'y fit, on lui répliqua par le silence et l'indifférence la plus totale. Elle sanglota comme une enfant esseulée, perdue.
La punition venait de commencer.
Parce que tu pensais pouvoir te défaire de moi ?
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Cahier de Brouillon
DiversosIl y a beaucoup d'histoire qui débutent mais peu qui aboutissent... Surtout dans la caboche de cette Tuyau aux idées brouillons. Pour les curieux et curieuses, je laisse ce cahier ouvert pour que vous puissiez éventuellement le prendre en main et...