La petite fille se réveilla dans des draps froissés. Elle frissonna. Ce lit n'était pas le sien. Moins rustique en fait. Car ce lit là était à baldaquin.
Elle se recroquevilla dans le tissu blanc, serrant ses petits poings aussi forts qu'elle le pouvait. Des chants d'oiseaux résonnèrent dehors, derrière le fin rideau de dentelle. Elle relâcha la pression qu'elle s'était d'office infligée, apeurée comme un animal en cage. C'était peut être ça, elle était une petite colombe prisonnière sous ses barreaux, sous ses barreaux sales de rouille. Elle tendit l'oreille, à l'affût d'un élément plausible de trahir les mauvaises intentions de cet endroit : la porte d'un cachot qui grince, le cri déchirant d'un homme qu'on torture, le tintement des chaînes qui s'entrechoquent. Non. Curieusement, rien de tout cela n'arrivait.
C'était une longue attente, on voulait lui faire peur, on voulait semer le doute, on voulait lui faire espérer à la libération, sa libération, hors de cette chambre sordide. Elle jeta la couverture en entier sur son corps, des pieds à la tête. Là, elle était en sécurité. L'homme-brute ne viendrait pas, il ne viendrait plus lui saisir la taille avec ses gros bras et ses longs ongles acérés pareils à des lames. Il lui avait coupé la peau un peu partout mais quand elle se tâta l'épiderme, elle ne décela rien d'autre que la régularité habituelle d'un corps lisse sans séquelles. Presque sans.
Sur son crâne, ça lui picotait comme jamais. Il lui fut impossible d'y porter la main sans qu'une déferlante de douleur ne surgisse, la fléchissant en deux. Elle haleta un moment avant de soupirer tristement. C'était ça le piège ? Une misérable bosse sur la tête ? Il lui en aurait fallu plus pour qu'elle ne soit vraiment affectée, terrassée même. Elle ne toucha plus cette partie et resta sous la couette sans odeur et sans sentiments.
La petite fille fit volontairement peler ses doigts, elle y gratta avec ses ongles le bout puis acheva la travail en se servant de ses dents. Plusieurs coups secs, lui firent rougir la peau, l'irritèrent, d'autres laissèrent quelques plaies à vif. Des gouttes de pourpre pigmentèrent le drap uniformément blanc. Elle empila ses morceaux arrachés précautionneusement, bien à côté d'elle. C'était rassurant ce petit monticule, ça la calmait dans ses ébats nerveux avec sa conscience. Ça ne lui était d'aucune aide face à l'autre par contre. L'autre qui était peut être à côté d'elle, au bord de son lit, en dessous, peut être au dessus. Prêt à sauter sur elle à tout instant pour la consumer, pour qu'elle se consume d'elle-même. Tout ça, c'était dans sa tête. Elle avait oublié mais tout ça, c'était dans sa tête.
On fit pression sur la couverture, elle le sentit. Une masse informe tendait les mains pour espérer la trouver, pour la trouver assurément, elle était là, nulle part ailleurs. La petite fille se crispa immédiatement, le corps inondé de sueurs froides. Faîtes qu'elle s'en aille. Faîtes que le monstre s'en aille. Qu'il se lasse de me chercher. Qu'il abandonne l'affaire. Qu'il parte pour toujours. Pour toujours. Qu'il meurt. Qu'il meurt. Qu'il meurt. Qu'il...
Les mains fouillent, farfouillent, tâtent lentement, doucement, sûrement... Elle cesse de respirer, de bouger, de cligner des yeux, de penser. Non. Elle ne peut pas cesser de penser. Le monstre est là, est bien là. Elle le veut mort, mort, mort, mort ! La créature sent sa faible patience s'évanouir. La gamine continue de l'ignorer et ça l'énerve. D'un coup, il lui attrape une jambe. Elle plaque ses mains à plats contre sa bouche tremblante, des larmes roulent et se déposent sur le drap, se mêlant au rouge qui brunissait déjà. Elle se raccroche dans un dernier élan de terreur à cette vision, le drap tacheté et mouillé presque semblable à une peinture à l'aquarelle. Elle s'imagine le pinceau fin qu'on aurait trempé dans un gobelet, un gobelet plein à ras bord de ses propres larmes, salées, amères. Amères comme cette vie misérable. Une vie qui ne vaut rien, une vie sous l'emprise de ce monstre.
Et soudain, la chose cesse d'exister un instant, infime. Le temps s'arrête et la terre cesse de tourner. Elle la voit cette toile, de ses yeux fermés, elle la contemple cette peinture qu'elle a peinte de ses mains maladroites, elle qui n'a jamais peint.
Elle se voit coller le gobelet quelques minutes contre sa joue, puis elle attend, immobile, impassible. Et l'eau jaillit de ses yeux, sans qu'elle n'ait eu besoin de forcer ou de songer à une chose triste. Elle pleure. Simplement, habituellement. Jusqu'à ce que le gobelet se remplisse en entier, jusqu'à qu'elle soit vidée. Maintenant, elle peut sortir son beau pinceau.
Son sang imbibe bientôt la toile qu'elle caresse pour prolonger le paysage. Elle fait des nuances, elle fait une perspective, elle crée tout un endroit rien qu'a elle. Un endroit qui n'a pas d'itinéraire, perdu au bord d'une falaise rocheuse. On aime s'y perdre ou on le redoute plus que tout, parce que là, plus personne ne s'entend, on est seul avec le monde, on est seul tout court.
La petite fille se sent seule, dans ce lit immense, cramponnée au drap et à la couverture, redoutant plus que tout le retour de la lumière. Les oiseaux se sont arrêtés de gazouiller, l'univers sonore n'est plus. Peut être que c'est elle qui est devenue sourde. L'autre môme avait bien entamé de la tuer à petit feu l'autre fois.
Non.
Le monstre était simplement parti.
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Cahier de Brouillon
De TodoIl y a beaucoup d'histoire qui débutent mais peu qui aboutissent... Surtout dans la caboche de cette Tuyau aux idées brouillons. Pour les curieux et curieuses, je laisse ce cahier ouvert pour que vous puissiez éventuellement le prendre en main et...