- Ah non ! Tant qu'il s'agit de mon élève, je n'irai nul part. Je vous conseil plutôt d'annuler ce prétendu mariage, rétorqua furieux monsieur Zémin.
- Djamila est votre élève, mais moi c'est ma fille. Et j'en fais ce que je veux.
- Être le père de cette enfant ne vous donne pas le droit de la traiter comme une marchandise. Ce que vous faîtes là est inadmissible. Vous ne le savez peut-être pas, mais dans notre pays, la loi protège les enfants contre les mariages précoces et forcés. Les parents coupables de tels actes sont traduits devant les tribunaux et sont sévèrement punis.
- Monsieur le directeur, vous, vous avez vos lois; nous, nous avons aussi les nôtres. Ici à Koboko ce sont nos coutumes qui nous guident. Et puis, quand vous parlez de mineure, je ne vous comprends pas. Djamila possède déjà tout ce qu'une femme doit avoir. Demandez à sa mère à quel âge on me l'a donné en mariage.
- Je ne rejette pas vos coutumes. Je suis moi-même défenseur des valeurs traditionnelles. Je tente juste de vous faire comprendre que nos traditions ne doivent pas être un poids pour nous-mêmes ni pour nos enfants. Elles ne doivent pas non plus freiner le développement de notre pays. C'est même pourquoi, il y a quelques mois, le gouvernement a fait voter une loi en faveur de L'école pour tous. Cette loi oblige tous les parents à scolariser leurs enfants.
- Arrêtez monsieur le directeur. Vous et votre gouvernement-là, allez vous faire voir ailleurs. Tout ce que vous dites là, ne me concerne pas. Moi Kobenan, ma fille Djamila sera la femme de mon ami Adama camion. Je ne vois pas celui qui va m'en empêcher.
- Vous vous trompez lourdement Kobenan. Si dans une semaine Djamila n'a pas repris le chemin de l'école, c'est la justice qui vous poursuivra pour détournement de mineure, mariage forcé et obstacle à la loi sur L'école pour tous. J'en ai fini.Monsieur Zémin se leva furieux et prit congés de Kobenan et de sa famille. Il savait que sa mission serait difficile dans cette région où les coutumes sont encore pesantes dans la famille.
Les propos de monsieur Zémin avait quand même créés le doute dans l'esprit de Kobenan et d'Adama. Seuls les cliquetis des ustensiles de cuisine de Minata, la mère de Djamila rangeait, rompaient de temps en temps le silence qui succéda à la menace du directeur de l'école. Il a fallu l'appel de la prière du soir du muezzin pour détendre l'atmosphère. Cependant, Adama était toujours tourmenté. Il se racla bruyamment la gorge pendant qu'il fixait le vide. Peu après, il demanda à partir. Son ami n'eût même pas la force de le raccompagner. Il essaya néanmoins de lui remonter le moral :
- Adama, il faut que nous nous rencontrions demain à cette même heure pour bien apprécier cette situation.
- Je te comprends Kobenan. Djamila doit être le ciment qui consolide notre grande amitié. Ne laissons pas un moins que rien fouler aux pieds nos traditions.
Quelques jours plus tard, Djamila retourna à l'école, à la grande joie de monsieur Zémin ainsi que de sa meilleure amie Carène.------------------
Les deux fillettes prenaient toujours à cœur leurs études. Elles se disputaient même les meilleures moyennes et les premières places du classement de la classe. Que de bonheur pour ces enfants à l'horizon !
Djamila et Carène se préparaient activement à l'examen du CEPE et au concours d'entrée en sixième. Elles rêvaient déjà de l'uniforme de collégienne, dont certaines de leurs aînées étaient fières quand elles venaient en vacances au village.
C'est dans la fièvre de cette préparation de l'entrée en sixième que disparut monsieur Zémin. Cette absence inhabituelle de leur directeur intrigua les deux enfants. Son épouse, auprès de qui Djamila et Carène s'informèrent, les rassura :
- Ne vous inquiéter pas les enfants, votre maître est allé à Abidjan (Capital économique de la Côte d'Ivoire), il sera très bientôt de retour.
Quelques jours plus tard, monsieur Zémin rentra de son voyage. Il était revenu très heureux, car il avait brillamment réussi son concours professionnel et avait été promu conseiller pédagogique. Le directeur devait partir pour une grande ville du Sud où il devait prendre fonction dès la rentrée prochaine. Il devra donc s'en aller de Koboko dans les semaines à venir.
La nouvelle du départ définitif de monsieur Zémin a été diversement accueilli à Koboko. Pendant que d'autres regrettaient, d'autres tel que Kobenan s'en réjouissaient. Le père de Djamila avait ainsi le champ libre pour marier sa fille à Adama. C'est comme ça que les classes de vidaient de brillantes jeunes filles. Elles étaient retirées par leurs parents pour être mariées de force. C'est la pratique dans cette région.———————————–––—–————
Le jour tant redouté autant par les élèves que par les parents d'élèves arriva. Djamila et Carène, comme tous les CM2 de l'école primaire de Koboko, devraient affronter l'examen du CEPE et le concours d'entrée en sixième. Cet examen leur ouvrirait les portes du collège.
Deux semaines seulement après les compositions, les résultats furent proclamés. Les deux amies obtinrent des points largement au-dessus de la barre d'admission fixée par le Ministère de l'Éducation Nationale. Quel bonheur ! Djamila et Carène allaient poursuivre leurs études au collège l'an prochain.
Après la proclamation des résultats qui m'étaient ainsi fin à l'année scolaire, monsieur Zémin s'en alla effectivement de Koboko avec sa famille. Djamila et Carène en furent très affectées. Mais le fait qu'elles devaient aussi quitter le village pour la ville au collège atténua quelque peu leur chagrin. C'est ainsi que les deux amies partirent en vacances la tête pleine de rêves, mais aussi avec des appréhensions : le collège, c'est un saut dans l'inconnu.
Pendant ce temps, Kobenan imaginait le plan qui lui permettrait d'éloigner Djamila de Koboko, mais aussi de Carène. Il ne supportait plus de voir sa fille avec elle. Il décida donc malgré les protestations de sa femme d'accompagner Djamila chez Adama à Guiglo. Après un bref séjour, Kobenan prétexta une visite à des vieilles connaissances pour abandonner Djamila entre les mains d'Adama et de ses deux épouses.——————————————————
Bientôt c'était la rentrée des classes. Les deux fillettes avaient été orientées en sixième au Lycée Moderne de Bondoukou. Carène était impatiente de voir Djamila. Elle avait prévu de faire le voyage de Bondoukou avec son amie. Elle se rendit donc chez Djamila pour voir si elle était revenue de Guiglo. Le vieux Kobenan qu'elle trouva assis devant sa maison, la congédia brutalement, lui interdisant de remettre les pieds dans sa cour. Carène, déçue, retourna à la maison. Ses parents lui prodiguèrent de sages conseils et l'accompagnèrent à l'auto-gare. C'est ainsi qu'elle s'en alla toute seule en ville dans l'espoir que Djamila l'y rejoindra très bientôt.
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LES LARMES de CARÈNE [ Terminé ]
Non-FictionCarène et son amie Djamila sont deux petites filles de douze ans. Elles fréquentent l'école primaire de Koboko, leur village natal. Certaines traditions qui dominent la vie des habitants de ce village défavorisent la scolarisation des petites filles...