Plusieurs années s'étaient écoulées. Carène n'avait plus eu de nouvelles de son amie Myriam depuis cette époque du lycée. La petite lycéenne était devenue un haut cadre au Ministère de la Promotion de la Femme, de la Famille et de la Protection de l'Enfant. Elle parcourait les villes et les villages afin de sensibiliser les populations sur certaines de nos pratiques culturelles. Notamment l'excision, le mariage forcé et la non scolarisation de la jeune fille. Mais aussi sur les risques de grossesses en milieu scolaire. Elle menait ces campagnes à Bondoukou, sa région d'origine où ces pratiques prospéraient. Elle sensibisait ses parents et leur démontrait clairement combien ces habitudes d'un autre âge regardaient le développement de leur région.
Au bout d'une semaine de campagne, elle parcourut une vingtaine de villages. Dans la plupart de ceux-ci, elle fut accueillie comme une héroïne. Trois jours avant la fin de la mission, elle entra triomphalement à Koboko, son village natal. La foule, composée en majorité de jeunes filles et de jeunes gens, scandait son nom, et voyait en Carène la libératrice.
La dernière étape de sa mission fut Yomian. Un village où les gens continuaient de s'opposer farouchement à la scolarisation de la jeune fille.
Cet après-midi là, tout le village était rassemblé sous le gros arbre à palabres. Carène prit la parole :
- Chers parents,je m'appelle Bidio Ama Carène et je suis de la région. C'est au nom du gouvernement que je suis ici pour vous livrer un message d'une grande importance : le rôle de la jeune fille dans notre société. Voyez-vous chers parents, certains aspects de notre tradition nous mettent en retard. Je veux parler de l'excision, du mariage forcé et de la non scolarisation de la fille... Parce qu'on pense que le femme n'est bonne que pour le ménage et pour faire des enfants. Toutes ces idées sont fausses. Je suis ici donc pour vous exhorter à scolariser vos filles et à ne pas les obliger à se marier précocement.
- Safroulaye* ! Les enfants d'aujourd'hui quelle insolence ! Es-tu en train de nous dire que notre tradition n'a plus aucune valeur à tes yeux ? Se vexa un vieil homme.
- Non ! Je dis tout simplement que certains aspects ne sont pas bons. Par exemple, le mariage forcé, ne pas mettre une fille à l'école. Tout cela empêche la jeune fille de s'épanouir.
- Il faut chasser cette petite effrontée de notre village. Elle est là uniquement pour pousser nos enfants et nos femmes à la révolte, s'inquiéta un villageois.
- Papa ! Ce que je dis, c'est pour notre bien à tous. Je ne regrette aucunement pas la tradition. La preuve, chaque année, malgré mes charges, je ne manque pas de participer aux festivités culturelles, tel le kroubi*. Je veux tout simplement dire qu'il ne faut pas empêcher les filles d'aller à l'école. Regardez-moi, mes parents sont fiers de moi parce que j'ai réussi et je m'occupe bien d'eux. Si j'avais été forcée au mariage, je ne serais pas ce que je suis aujourd'hui.
- Tu as raison ma fille, approuva un autre habitant.
- Je vais vous raconter ce qui est arrivé à ma meilleure amie du lycée. Elle s'appelle Myriam. Elle était elle aussi brillante à l'école. Mais à cause du mariage forcé, elle n'a pas pu continuer ses études. À cette époque, elle m'avait confié que ses parents voulaient la forcer à se marier à un riche commerçant, un certain Boukary.
La foule ahurie, poussa un cri étouffé d'étonnement. Carène, n'y comprenait rien. Puis un villageois s'avança vers elle et lui dit :
- Madame... Nous avons une Myriam ici qui est mariée au vieux Boukary. C'est peut-être votre amie dont vous parlez.
Carène n'en croyait pas ses oreilles. Prise d'émotion, elle faillit s'écrouler.
- C'est vrai ma fille. Voici même le nommé Boukary, ajouta le chef.
Boukary n'était autre que le vieil homme qui avait menacé de chasser Carène du village.
- Mon Dieu ! C'est donc toi Boukary ! Je comprends mieux ton attitude tout à l'heure. Tu paieras pour tous tes crimes. Maintenant dis-moi quel où est My...
Carène n'a pas le temps d'achever sa phrase qu'une voix nouée par l'émotion s'échappa de la foule. Une femme se dirigeait péniblement vers elle, toute en pleurs. Deux enfants la suivaient et le troisième était solidement accroché au sein. Cette femme devenue vieille par des nombreux enfants qu'elle avait faits et des travaux champêtres, c'était bien Myriam, son amie d'enfance. Carène se jeta dans ses bras et laissa couler des flots de larmes.
La foule devint nombreuse autour d'elles. Certaines jeunes femmes laissèrent couler des filets de larmes qu'elles essuyèrent discrètement. De l'autre côté du village, le muezzin lançait à plein poumons l'appel à la prière : « Allaaaaahooooh Akbar ! »Fin.
************************Kroubi : Une danse qui a lieu pendant le ramadan.
Safroulaye : Interjection malinké pour conjurer le mauvais sort.
VOUS LISEZ
LES LARMES de CARÈNE [ Terminé ]
No FicciónCarène et son amie Djamila sont deux petites filles de douze ans. Elles fréquentent l'école primaire de Koboko, leur village natal. Certaines traditions qui dominent la vie des habitants de ce village défavorisent la scolarisation des petites filles...