La nuit venait de couvrir de son voile noir tout le village. Toute la famille du papa de Myriam était réunie et n'attendait plus que Aboubacar. Il arriva quelques instants plus tard, habillé de son plus beau boubou tel un dougoutigui, un chef de famille. Il salua les autres membres de la famille et s'assit dans le traditionnel divan qui appartenait au défunt.
Il prit la parole :
— Mes condoléances à tous... Mon regretté frère m'a laissé une lourde charge : veiller sur toute la famille. Dans les jours à venir, je prendrai de grandes décisions pour le bien de notre famille. Sachez que je ferai tout pour que chacun de nous se sente heureux au sein de cette famille.
— Merci, baba, remercia la première épouse d'Aboubacar.
— C'est un devoir pour moi de maintenir la cohésion dans notre famille, continua-t-il avec fierté. Ma fille Myriam, ajoute-t-il en se tournant vers la lycéenne, la première grande décision te concerne, mais pour l'heure, il est trop tôt pour en parler. Quand tu viendras en congés de Pâques, la famille se réunira à ce propos.
Cette nuit-là, Myriam ne ferma pas l'œil. Elle passa toute la nuit à méditer sur son sort. Elle se demandait bien ce qui lui voulait son oncle Aboubacar.
Le lendemain, elle quitta Yomian pour Bondoukou. Quand le lundi matin Myriam arriva à l'école, elle continuait de passer en revue les évènements de ses derniers jours au village. Son esprit vagabondait ici et là, la détournant des cours. Myriam était de plus en plus soucieuse. Carène l'avait remarquée et s'en inquiéta :
— Qu'est-ce qui ne vas pas Myriam ? Tu me sembles soucieuse ces derniers temps.
— Rien, ça va ! grogna-t-elle.
— Je suis ton amie, mais aussi ta petite sœur comme tu le dis souvent. Confie-toi à moi, je saurai t'aider comme tu l'avais fait pour moi.
— Ne t'inquiètes pas, tout va bien ! dit-elle pour se débarrasser de son amie.
— Grande-sœur, je sais ce qu'on ressent quand on perd un parent cher. J'en ai souffert quand j'ai perdu mon père. Mais je pense que ma détermination à réussir dans mes études le réconforte de faire l'au-delà. C'est pourquoi je te demande de faire un effort pour surmonter courageusement cet épisode afin de te consacrer à tes études. Le BAC blanc, c'est pour bientôt.
— Ce n'est pas seulement le décès de mon père qui me tracasse.
— Quoi donc ? s'empressa de demander Carène.
— Rien...
Carène se tut, mais ne s'en offusqua pas pour autant. Elle connaissait Myriam depuis très longtemps et savait que son amie est d'ordinaire très aimable. Elle savait que Myriam traversait une période difficile. Il lui fallait impérativement savoir de quoi il s'agissait, afin de l'aider avant qu'il ne soit trop tard.
Quelques jours plus tard, Carène emprunta le livre d'anglais de Myriam pour traiter un exercice. Pendant qu'elle le feuilletait, elle tomba sur une feuille de papier soigneusement pliée sur laquelle on pouvait lire : « Je me tuerai si vous m'obligez à me marier avec lui. » Carène tressaillit de frayeur. Elle venait de découvrir ce qui causait tant de tristesse à son amie.
Le lendemain, à la récréation, elle retrouva son amie sous un arbre où elle s'était isolée :
— je sais tout Myriam.... Dis-moi donc qui est-ce qui veut t'obliger à te marier ?
Myriam suprise par les propos de son amie, se tourna brusquement et le fixa intensément. Ne pouvant supporter son regard, elle se jeta dans les bras de sa copine et fondit en larmes.
— Mes parents ! Mes parents, Carène ! répondit-elle avec émotion.
— Qu'est-ce qu'ils ont, tes parents ? Ne savent-ils pas que ces pratiques sont révolues de nos jours ?
— Ils le savent mais ils pensent que la tradition doit primer sur les lois du pays. En fait, ils veulent me « vendre » à Boukary pour profiter de ses largesses.
— Qui est ce Boukary ? questionna Carène très en colère.
— C'est un riche commerçant de mon village. Il a même déjà versé la dot. Lors de mon récent passage, je lui ai été présentée comme sa future épouse. Mon oncle a même dit que pendant les congés de Pâques, je dois subir le rituel de l'excision avant que le mariage ne soit célébrer. Il m'a également fait savoir que ce vieux Boukary m'avait attaché une corde au rein quand j'étais enfant pour sceller notre union. Ce qui signifie que je lui appartiens.
— N'importe quoi ! Tes parents pensent-ils encore que nous sommes au Moyen-âge ? Pourquoi croient-ils qu'ils peuvent disposer de toi comme on le ferait pour n'importe quel animal domestique ?
— Je ne sais plus quoi faire, Carène !
— Ne t'en fais pas Myriam, je t'aiderai à empêcher ce mariage odieux, la rassura Carène.
— Comment allons-nous, nous y prendre ? demanda-t-elle, désespérée.
— Bientôt ce sera les congés de Pâques. À notre retour, nous irons à la Direction Régionale de l'Education Nationale et à la Direction Ministère de la Famille et de la Protection de l'Enfant pour exposer ton problème. La scolarisation de la jeune fille fait partie aujourd'hui des propriétés du gouvernement. Ne t'inquiètes pas, tes parents n'arriveront pas à leur fin. On ira rencontrer la responsable de l' ONG, elle ne plaisante pas avec ses questions de droits de jeunes filles. Tu seras défendue comme il le faut.
— Merci Carène ! Tu es vraiment une amie.
Quelques jours après cette discussion avec son amie, Myriam disparut de la ville. On la rechercha partout sans jamais la retrouver. Personne ne savait où elle avait bien pu aller. Mais Carène se doutait bien de ce qui était arrivé à son amie. Elle en était très triste...
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LES LARMES de CARÈNE [ Terminé ]
Non-FictionCarène et son amie Djamila sont deux petites filles de douze ans. Elles fréquentent l'école primaire de Koboko, leur village natal. Certaines traditions qui dominent la vie des habitants de ce village défavorisent la scolarisation des petites filles...