CHAPITRE IV

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  Carène était retournée à Bondoukou et avait repris les cours. Elle avait fini par accepter, bien malgré elle, le mariage forcé de son amie Djamila. Elle s'était liée d'amitié avec Myriam, sa nouvelle voisine de classe de sixième. Myriam était si gentille que leur amitié s'était consolidée en si peu de temps. Elles se partageaient soutiens et conseils pour vivre sainement leur vie de collégienne et d'adolescente. Myriam, un peu plus âgée que Carène se comportait en véritable grande sœur de cette dernière. Les deux amies étaient même allées passe les congés de Noël à Koboko.

        Au fil des jours, Carène surmonta la peine qu'elle éprouvait après le mariage forcé de son amie Djamila. Elle décida de continuer de bien travailler en classe afin d'être toujours parmis les meilleurs, pour venger son amie. Au bout de plusieurs évaluations, elle reçut le prix de la meilleure élève à la fin du deuxième trimestre. Myriam était fière des résultats de sa nouvelle amie. Elle essayait de suivre son exemple.
  Le dernier trimestre de l'année scolaire venait de commencer. C'était bientôt les grandes vacances. C'est dans cette période-là que Myriam remarqua un étrange changement dans le comportement de son amie. Carène manquait régulièrement les cours et dormait beaucoup, même en classe. Pire, ses notes chutaient au fil des derniers devoirs. Que s'est-il passé pour que Carène connaisse une telle situation ?
         Cet après-midi là, le professeur de français venait de distribuer les feuilles de copies d'une des dernières évaluations. Myriam sauta à la vue de sa note, elle en était très fière. En fin de trimestre, une bonne note était très utile. Elle devait ce succès à Carène qui lui avait expliqué le cour sur lequel portait l'évaluation. Myriam tenta de voir la note de son amie en se penchant sur sa copie ; mais celle-ci, la froissa prestement. Myriam comprit alors que la note de Carène était mauvaise et n'insista pas. La sirène retenti. Les deux filles sortirent de la classe et prirent ensemble le chemin de la maison. Contrairement à leur habitude, elles n'échangèrent aucun mot jusqu'à destination. Ce qui ne manqua pas de troubler davantage Myriam
— Qu'est-ce que tu as, Carène ? Tu le sembles bien silencieuse ces derniers temps. Et pourtant, nous nous sommes promis de ne rien nous cacher, s'inquiéta Myriam.
— Je n'ai rien, je n'ai juste pas envie de parler, c'est tout, répondit sèchement Carène.
— Je me doute que tu as eu une mauvaise note tout à l'heure en français. Carène, ne sois pas affectée par ce faux pas. C'est toi la meilleure de la classe...
— Oui, tu as raison... Je regrette vraiment cette mauvaise note en français. Mais en réalité, c'est le professeur lui-même qui me met mal à l'aise, reconnut Carène.
— Quoi ! Monsieur Bony ?
— Oui !
    Gauthier Bony était un jeune professeur de français qui fesait ses premiers pas d'enseignant au Lycée Moderne de Bondoukou. Très bel homme, avait un charme qui ne laissait personne indifférent. Il était propre et toujours bien habillé. Ce qui lui valait grand un succès auprès des élèves, surtout des jeunes filles.
Monsieur Gauthier Bony avait aussi une réputation de Don Juan qui profitait de son statut de séduction.
Myriam ne comprenais pas vraiment où son amie voulait en venir :
— Comment ça, Monsieur Bony te trouble. Que t'a-t-il fait ?
— Rien... Laisse tomber, dit-elle pour ne pas répondre à la question.
— Comment ça rien alors que tu viens d'accuser le prof ? Que t'a-t-il fait au juste ?
— Je te répète qu'il ne m'a rien fait, répondit Carène un peu agressive.
   C'est dans cette atmosphère de suspicion que les deux jeune filles se séparèrent. Le lendemain, elles se retrouvèrent dans une humeur plus gaie. Carène était très détendue à la grande joie de Myriam qui épiait tous ses faits et gestes. À l'heure de la récréation, Myriam aborda la question de la vielle :
— Ah ! Je comprends mieux. Ainsi donc tu es amoureuse de monsieur Bony, lui lança-t-elle au visage.
    Carène sursauta comme si on lui avait reversé de l'eau froide sur le corps.
  — Où es-tu donc allée chercher une telle idée saugrenue ? tenta-t-elle de se défendre.
— C'est ton attitude vis-à-vis de monsieur Bony qui me fait croire à cela.
    Carène jeta des coups d'œil rapides de droite à gauche, puis chuchota à l'oreille de son amie :
— Parle doucement, s'il-te-plaît. Quelqu'un pourrait nous entendre.
— Dis-moi la vérité, sinon je crierai si fort que toute l'école l'entendra.
   Carène bondit sur Myriam, lui ferma la bouche de sa main et lui promit de tout lui avouer à la fin des cours.
      À la fin des cours, les deux amies se dépêchèrent de se retrouver hors de l'établissement. Elles convinrent d'aller au glacier en face du lycée pour échanger. Carène et Myriam prirent place à un endroit où personne ne viendrait les déranger. Carène n'avait pas encore commencé à parler que ses yeux étaient déjà embués. Sous l'effet de l'émotion, son visage se déforma, ne laissant voir que deux larmes qui roulaient lentement sur ses joues. Myriam la serra dans ses bras pour la réconforter.
  — Calme-toi ma chérie, dit-elle pour la rassurer.
— Myriam, je ne suis pas amoureuse de monsieur Bony, réussit-elle à dire d'une voie émue.
— Alors que s'est-il donc passé, Carène pour que tu sois dans un tel état ?
— Promets-moi d'abord, de ne le  révéler à personne s'il-te-plaît.
— Je te donne ma parole, frangine, promit Myriam.
— C'était le mois dernier, commença-t-elle, monsieur Bony m'a demandé de venir l'aider à faire le ménage chez lui.
— Mince ! s'exclama Myriam.
— Pourquoi tu dis cela ?
— Attends, dis-moi... Après que tu es fini de faire le ménage, il t'a demandé d'aller prendre un bain avant que vous ne passiez à table ? Or, la salle de bain se trouve dans sa chambre. Pendant que tu te lavais, il s'est glissé derrière toi et a abusé de toi.
    Carène resta bouche bée, les yeux inondés de larmes. Elle n'en revenait pas, tant la ressemblance des faits que Myriam venait de décrire était identique à celle qu'elle avait vécu chez le professeur de français.
— Le goujat ! Il t'a donc dit ce qu'il m'a fait ?
— Non, il m'a fait exactement la même chose, répondit Myriam, amère.
— Eh Allah ! Le diable ! s'exclama Carène, dégoûtée. Pourquoi ne m'as-tu pas mise au courant ? demanda-t-elle.
— À ce moment, on venait de se rencontrer. En plus, il m'avait menacée de ne le répéter à personne.
— Je parie que nous ne sommes pas ses seules victimes, dit Carène.

   Les deux adolescentes, complètement déçues pleurèrent en se serrant l'une contre l'autre. Elles se promirent de garder le secret et de se soutenir, en attendant de trouver la force de dénoncer cet indélicat professeur auprès de l'administration de l'école.

LES LARMES de CARÈNE [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant